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nationale, une lettre signée Un Internazionalista, qui parut dans le Gazzettino rosa du 27 mai ; et les termes de cette lettre montrent qu’à ce moment il avait encore bonne opinion du Conseil général[1].

Mais il avait résolu d’aller voir Bakounine et de recueillir de sa propre bouche les explications qui l’intéressaient. Le 20 mai, il arrivait à Locarno, accompagné de Fanelli. Bakounine avait quitté, à la fin d’avril, la maison de la veuve Pedrazzini, qu’il avait habitée pendant deux ans et demi ; le 1er mai, il s’était installé dans un hôtel garni, l’Albergo al Gallo, tenu par Giacomo Fanciola. Mme  Bakounine et ses enfants étaient en ce moment en séjour à Menton, auprès de la princesse Obolensky, devenue Mme  Ostroga. Cafiero resta à Locarno jusqu’au 18 juin, et le calendrier-journal nous indique l’emploi de son temps pendant ces vingt-neuf jours. Dès le second jour, le 21, l’entente était établie : « Toute la journée avec Fanelli et Cafiero ; alliance bien accomplie ». Fanelli repart le lendemain. Le 24, Bakounine écrit : « Conversé avec Armando [Cafiero]. Plan d’organisation ébauché. » Le 31 mai, Cafiero commence à écrire une lettre à Engels pour lui dire sa façon de penser, et, le 3 juin, il la lit tout entière à Bakounine. Cette lettre, qui fut envoyée, mais qu’Engels ne s’est jamais vanté d’avoir reçue, était écrasante pour celui auquel elle était adressée. J’en ai eu communication en ce temps-là (le 12 juin, Bakounine note : « Lettre à James avec lettre de Cafiero à Engels »), et je regrette bien de ne pas en avoir gardé copie. Fanelli revint à Locarno le 15 juin, et trois jours après emmena Cafiero : « 15. Arrive Beppe [Fanelli]. — 16. Conférence entre Beppe, Cafiero et moi. — 17. Petit orage avec Beppe, suivi d’une entente complète. — 18. Cafiero et Beppe partis ce matin 4 ½ h. pour Milan. »

Les associations mazziniennes, depuis la mort de leur chef, se sentaient désorientées, et l’Internationale continuait à gagner du terrain. Dans une lettre à Joukovsky, du 30 avril, dont j’ai déjà cité des passages, Guesde écrivait de Rome : « Ici on se remue beaucoup. Les ouvriers sont pleins de bonne volonté. Laissez-leur le temps d’oublier Mazzini, et ils seront tous à nous et à la révolution sociale. » Mais, dans certaines régions, les progrès du socialisme avaient produit parmi les républicains de l’école de Dio e popolo la plus vive irritation ; en Romagne en particulier, ce fut une guerre au couteau que les mazziniens déclarèrent à l’Internationale ; « au couteau » n’est pas une métaphore : le 2 mai, Francesco Piccinnini, employé à la Banque populaire, jeune mazzinien devenu socialiste, chef du Fascio operaio de Lugo, fut assassiné sur la place publique : après l’avoir abattu d’un coup de fusil, les mazziniens l’achevèrent à coups de poignard ; les meurtriers restèrent impunis, personne n’osa les dénoncer.


On voit, par le calendrier-journal, qu’en Espagne Bakounine n’était en correspondance qu’avec Alerini et Sentiñon ; il note, le 24 février, la réception d’une lettre de Sentiñon ; le 26, lettre d’Alerini, à laquelle il répond le 27 ; les 31 mars-1er avril, il écrit à Alerini, dont il reçoit le 2 avril une lettre qui s’est croisée avec la sienne ; le 5 avril, arrivée de la réponse d’Alerini. Sentiñon ne faisait plus partie de la Alianza depuis le milieu de 1871[2] ; mais cette circonstance n’avait modifié en rien ses rapports avec Bakounine : celui-ci ignorait en effet l’existence de la Alianza, organisation purement espagnole, et ses relations épistolaires avec Sentiñon étaient motivées par l’intimité qui s’était établie entre eux à l’époque du Congrès de Bâle. Quant à Alerini, connue on l’a vu, il avait fait la connaissance de Bakounine à Marseille en octobre 1870, et c’était à titre de membre de cette organisation secrète française qui avait participé aux mouvements de Lyon et de Marseille, qu’il était devenu pour l’auteur des Lettres à un Français un ami très cher et très dévoué[3].

  1. Nettlau, p. 585.
  2. Cuestion de la Alianza, p. 1, déclaration des membres du groupe de la Alianza à Barcelone, 1er août 1872.
  3. On a vu p. 113 la relation, écrite par Alerini en 1876, de la façon dont Bakounine quitta Marseille en octobre 1870.