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journal à journal, et quelques-uns d’entre eux (dont Morago) créèrent le Condenado, qui parut au commencement de février.

De tout ce qui se passait en Espagne, depuis le milieu de 1871, dans l’intérieur des Sections et des comités, nous étions, en Suisse, complètement ignorants : nous n’avions d’autres nouvelles que celles que nous apportaient les journaux. L’existence de la Alianza, organisation exclusivement espagnole, nous était demeurée inconnue ; nous ne savions rien de la brouille entre Morago et F. Mora, ni de la personnalité de Mesa et de son influence dans la rédaction de la Emancipación, ni de la présence de Lafargue à Madrid. Lorsque, le 16 janvier 1872, le ministre Sagasta se fut décidé à frapper le coup qu’il méditait, et eut ordonné la dissolution des Sections espagnoles de l’Internationale, notre Bulletin (n° 2, p. 3) raconta comment le Conseil fédéral espagnol avait répliqué, le 31 janvier, à l’acte arbitraire du ministre par une protestation énergique, « déclarant considérer le décret gouvernemental comme nul et non avenu, et invitant toutes les Sections d’Espagne à n’en tenir aucun compte ». Le Bulletin ajoutait : « Toutes les Sections de l’Espagne, tous les organes de l’Internationale dans ce pays, ont répondu à cet appel ; les internationaux ont affirmé énergiquement leur résolution de ne pas se laisser dissoudre, et l’Internationale continue à fonctionner comme si la circulaire de M. Sagasta n’avait jamais existé ; les journaux continuent à paraître, et la propagande se poursuit de plus belle ». Et nous citions avec éloges un article de la Emancipación, expliquant que ce journal, « qui, au début de sa publication, ne s’était pas annoncé comme un organe officiel de l’Internationale, avait cru de son devoir, après la circulaire Sagasta, d’en arborer hautement le drapeau et de se déclarer international ». Cet article de la Emancipación contenait un programme dans lequel nous reconnaissions le nôtre : « Nous voulons l’abolition de tout pouvoir autoritaire, » — disait-il, — « qu’il revête la forme monarchique ou la forme républicaine. En son lieu, nous voulons établir la libre fédération des libres associations agricoles et industrielles. Nous voulons la transformation de la propriété individuelle en propriété collective... Nous voulons que les associations agricoles prennent possession en due forme de toutes les terres qui ne sont pas cultivées directement par leurs propriétaires actuels... Nous voulons de même que les associations industrielles puissent travailler immédiatement pour leur compte en entrant sur-le-champ en possession, comme usufruitières, des instruments indispensables à leur travail... À ces réformes fondamentales nous subordonnons toute action, tout mouvement politique,... parce que nous sommes intimement persuadés que la transformation économique que nous réclamons est la condition indispensable de la réalisation des libertés politiques. » Comment n’eussions-nous pas pensé que les rédacteurs d’un journal qui tenait un pareil langage devaient, bien qu’ils eussent publié — par excès d’impartialité, nous disions-nous — la contre-circulaire de Genève, être nos amis ?

Le Conseil fédéral ne se borna pas à répondre à la circulaire de Sagasta par la déclaration qu’il n’en tiendrait aucun compte. Il chercha le moyen d’opposer une résistance efficace à l’arbitraire gouvernemental, et il crut le trouver dans la création d’une organisation clandestine qui, sous le nom de Défenseurs de l’Internationale, grouperait en une association secrète les membres les plus dévoués et les plus sûrs de chaque Section. Ces groupes correspondraient entre eux et avec le Conseil fédéral, qui formerait le centre de cette organisation. Pour mettre ce plan à exécution, le Conseil délégua deux de ses membres, pour parcourir, l’un, F. Mora, la comarca[1] de l’Est (Catalogne et Baléares), l’autre, Anselmo Lorenzo, la comarca du Sud (Andalousie). Leur voyage s’exécuta pendant les mois de février et de mars 1872.

Ce plan cachait une arrière-pensée, à laquelle Lorenzo était resté

  1. Au point de vue de la correspondance, la Fédération espagnole avait été divisée en cinq comarcas (territoires) : Est, Sud, Ouest, Nord et Centre.