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ils prétendirent en effet — que ni le Conseil général ni la Conférence n’avaient commis, aux yeux des Belges, aucun abus d’autorité, puisque le Conseil général n’avait jamais été qu’un centre de correspondance et de renseignements. Que fallait-il penser an juste d’une résolution rédigée en des termes qui pouvaient donner lieu à des interprétations si différentes ? Le Conseil général et quelques-uns de ses partisans affirmèrent que les Belges avaient voulu donner raison aux hommes de Londres contre nous. Quant à nous, nous fûmes renseignés sur les véritables intentions des Belges par Bastelica, qui, s’étant rendu à Bruxelles justement à cette époque, avait assisté au Congrès, et avait reçu de la bouche des délégués les explications nécessaires ; nous sûmes que les Belges, malgré l’ambiguïté, voulue ou involontaire, du texte de leur résolution, n’étaient nullement disposés à se ranger du côté du Conseil général dans la lutte commencée ; et bientôt nous apprîmes que leur Conseil fédéral, chargé de préparer un projet de revision des Statuts généraux, se proposait d’introduire dans les statuts revisés la suppression du Conseil général.

Le Congrès belge avait eu à examiner une question subsidiaire : celle de l’époque à laquelle il convenait de convoquer le futur Congrès général. La circulaire de Sonvillier avait proposé que cette convocation eût lieu « à bref délai » ; mais, à nos yeux, c’était là un point accessoire, au sujet duquel nous étions prêts à nous rallier à l’opinion qu’exprimerait la majorité des Fédérations. « Les uns, parmi les délégués jurassiens, avaient pensé que le Congrès régulier de 1871, qui n’avait pas eu lieu, et avait été remplacé par la Conférence de Londres, devait être convoqué, et cela avant la fin de l’année ; les autres pensaient qu’il valait mieux attendre le Congrès régulier de 1872. Sans trancher la question, on avait résolu de laisser aux autres Fédérations l’initiative des propositions touchant l’époque du Congrès général[1]. » Les Belges estimèrent qu’il n’y avait pas urgence, et qu’on pouvait attendre jusqu’au mois de septembre suivant, époque à laquelle, depuis l’adoption des statuts de l’Association, se réunissait traditionnellement le Congrès ; en conséquence, la Fédération belge proposa que le Congrès général eût lieu en septembre 1872, ce qui donnerait le temps à toutes les Fédérations de préparer et d’étudier des projets de statuts revisés, et de se concerter en vue des travaux du Congrès.


C’est à ce moment que reparaissent subitement sur la scène deux hommes qui n’avaient plus fait parler d’eux depuis les derniers mouvements insurrectionnels de Lyon au printemps de 1871, Albert Richard et Gaspard Blanc. Ils avaient réussi à passer en Angleterre ; et là, tandis qu’ils traînaient leur misère et leur désœuvrement dans les rues de Londres, il vint à Richard l’idée la plus folle et la plus monstrueuse, la plus bête et la plus scélérate, — une idée bien digne de la cervelle malade de celui qui, adolescent, avait rêvé, comme me l’ont raconté des socialistes lyonnais, de s’en aller chez les nègres pour fonder un royaume au Congo. Cette idée, c’était d’offrir leurs services à Napoléon III, à ce moment installé depuis quelque temps à Chislehurst, et de lui proposer de le ramener en France comme empereur des ouvriers et des paysans. Blanc, qu’on aurait cru moins bête que son copain, se laissa pourtant embobiner par lui, et tous deux de compagnie allèrent voir Badinguet, qui, aussi fou qu’eux, les reçut, les écouta, et leur donna quelque argent pour publier une brochure. Ravis et grisés de leur succès, ils s’en furent de Londres à Bruxelles. Richard se croyant déjà vice-empereur, et Blanc député ou préfet, et ils firent imprimer une ânerie prétentieuse intitulée « L’Empire et la France nouvelle ; Appel du peuple et de la Jeunesse à la conscience française, par Albert Richard et Gaspard Blanc », qui parut à Bruxelles en janvier 1872. Cette élucubration se terminait ainsi : « Nous qui avons formé la grande armée du prolétariat français, ... nous les chefs les plus

  1. Bulletin de la Fédération jurassienne, n° 1 (15 février 1872).