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sion de notre chambre, et nous nous rendîmes immédiatement au Palais électoral[1], où nous devions nous entendre avec M. Menn, secrétaire du Congrès de la paix, relativement à la présentation de l’Adresse du Congrès de Lausanne. Nous n’avions pas de temps à perdre, si nous voulions être de retour au palais Fazy pour une heure. Je pressais De Paepe, je le priais de faire hâte, et je ne fus pas peu étonné de l’entendre me dire qu’il ne tenait pas à voir Garibaldi, et qu’il préférait se promener en attendant deux heures, moment fixé pour l’ouverture de la séance du Congrès.

« Parles-tu sérieusement ? lui dis-je.

— Très sérieusement. Je reste ici. Pour toi, si tu veux être à temps pour aller faire ta révérence au grand homme, je te conseille de te dépêcher, car il est une heure moins le quart. »

Je quittai De Paepe en trouvant qu’il poussait un peu loin le dédain des gloires de ce monde. Pour moi, je ne songeais qu’au bonheur de voir enfin de mes yeux le héros de la démocratie. Je rejoignis Stampa et quelques amis qui attendaient avec lui, et nous montâmes, en fendant la foule, les escaliers somptueux du palais Fazy.

Une émotion inexprimable m’enlevait presque la voix. Tout en montant, nous disions :

« Qui lui parlera ?

— Tout le monde, dit Stampa ; ce sera une conversation familière, et non une réception officielle.

— Oui, mais il faut pourtant que quelqu’un commence par exprimer nos sentiments. Voulez-vous porter la parole, Coullery ?

— Si l’on veut. »

Au haut de l’escalier, nous fûmes reçus par le major hongrois Frigyesi, le même qui, le lendemain, déposa à la tribune du Congrès ses décorations militaires, et dont l’énergique discours fut tant applaudi.

En même temps que nous, se présenta un ouvrier italien en blouse, qui voulait parler à Garibaldi. Le major lui serra cordialement la main et le pria de s’asseoir sur un fauteuil qu’il lui avança, en lui disant que le général le recevrait tout à l’heure. Puis il nous fit entrer dans le salon.

Là se trouvaient déjà une dizaine de belles dames en grande toilette, avec des messieurs en frac et en cravate blanche. On nous fit asseoir sur des sofas et des fauteuils, et nous causâmes pendant quelques minutes en attendant l’arrivée du héros. Les deux ou trois Français qui étaient avec nous se montraient passablement émus ; les Anglais au contraire restaient impassibles : Odger et Cremer étaient gravement assis sur un divan, et Walton, renversé dans un fauteuil, les jambes étendues et la tête en arrière, faisait preuve d’un sans-gêne tout britannique.

Stampa, après avoir parlé un moment le major Frigyesi, s’approcha de moi et me dit :

« Les choses ne vont pas comme je l’aurais voulu. L’heure de l’ouverture du Congrès étant si rapprochée, le général ne pourra pas nous recevoir en particulier et avoir avec nous la conversation que je désirais. Il ne fera que passer dans cette salle pour distribuer des

  1. C’est dans cet édifice que le Congrès devait tenir ses séances.