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l’unique sens véritable de cette propriété individuelle et héréditaire dont le généreux et populaire général Garibaldi se pose lui-même en défenseur aujourd’hui ; ou la forme nouvelle, celle que nous soutenons contre la bourgeoisie et contre le général Garibaldi lui-même, parce qu’elle est l’unique et suprême condition de l’émancipation réelle du prolétariat, de tout le monde, la propriété collective des richesses produites par le travail collectif ; » — un autre passage, où l’auteur expose « l’idée si juste, énoncée et développée il y a plus de vingt ans principalement par Karl Marx », que les religions n’ont jamais été les causes réelles des faits sociaux, « l’idéal n’étant jamais que l’expression plus ou moins fidèle de la lutte des forces économiques dans la société » ; — enfin une prophétie des plus remarquables, annonçant, « dans un délai assez rapproché, l’entière destruction de la domination russe sur tout le pays de l’Amour, sous le poids d’une formidable invasion japonaise… Gare aux possessions russes sur l’Amour, je ne leur donne pas cinquante ans. Toute la puissance de la Russie en Sibérie n’est que fictive. »

Un manuscrit de Bakounine, inachevé, portant la date du 7 janvier 1872, et qui paraît avoir été destiné au journal la Liberté de Bruxelles, contient un passage intéressant sur le programme de l’internationale, à l’occasion duquel Bakounine rend une fois de plus un hommage sincère à Marx. Ce qui lui a fait prendre la plume, c’est « un entrefilet ne pouvant se qualifier autrement que d’infâme », publié dans le Volksstaat du 13 décembre 1871[1], et qu’il n’a lu que la veille, parce qu’il vit « dans un lieu très éloigné de tous les centres de publicité ». Il explique l’opposition théorique qui existe entre les partisans de la centralisation et ceux de l’autonomie, ou, comme il les appelle plus loin, « les communistes autoritaires et les fédéralistes, autrement dits anarchistes », et l’absurdité qu’il y aurait à vouloir imposer aux membres de l’Internationale un dogme uniforme et obligatoire ; et il ajoute :


C’est l’honneur éternel des premiers fondateurs de l’Internationale et, nous aimons à le reconnaître, du compagnon Charles Marx en particulier, d’avoir compris cela, et d’avoir cherché et trouvé, non dans un système philosophique ou économique quelconque, mais dans la conscience universelle du prolétariat de nos jours, quelques idées pratiques résultant de ses propres traditions et de son expérience journalière… Ces quelques idées, magnifiquement résumées dans les considérants de nos Statuts généraux, forment le vrai, le seul principe constitutif, fondamental, obligatoire de notre Association[2]… Il n’existe dans l’Internationale qu’une seule loi souveraine, garantie puissante de son unité : c’est celle de la solidarité pratique du prolétariat de tous les pays dans sa lutte contre l’oppression et contre l’exploitation bourgeoises.


La gêne matérielle où vivait Bakounine continuait, et devait durer un certain temps encore. Le 6 décembre, à la suite peut-être de sa lettre du 14 novembre (voir p. 231), il reçoit d’Ogaref 30 fr.; Ross lui envoie de Genève du thé et du tabac (3 déc.), puis 150 fr. (10 déc.) et 110 fr. (15 déc) ; Gambuzzi envoie 100 fr. (26 déc). En janvier 1872, le calendrier-journal porte, le 5 : « Point d’argent » ; Bakounine emprunte, le 6, 10 fr. à Chiesa ; le 7, 20 fr. à Bellerio (sur lesquels il rend à Chiesa ses 10 fr.) ; le 13, Gambuzzi envoie 40 fr. ; le 28, arrivent de Sibérie 20 roubles (80 fr.), ce qui permet de rendre à Chiesa les 40 fr. empruntés le 10 décembre pour Cyrille. En

  1. Je ne me rappelle pas ce que contenait cet entrefilet : Nettlau, qui cite plusieurs passages de ce manuscrit de Bakounine (p. 583), ne le dit pas. Deux fragments de ce manuscrit ont paru dans le supplément littéraire de la Révolte (juin 1892).
  2. Rapprocher ce passage d’une citation d’Engels (préface à une nouvelle édition du Manifeste communiste, 1890) qui sera faite au chapitre VI de la Quatrième Partie, page 341, note 2