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les cerveaux allemands, si bien que, lorsqu’ils font du socialisme, c’est encore avec cela. Bismarck ayant tourné la tête à tout le monde, du Rhin à l’Oder, en même temps que Guillaume Ier se faisait empereur, Karl Marx se sacrait pontife de l’Association internationale[1].


Cette phrase est regrettable ; elle nous choqua, et je le fis savoir à l’auteur[2]. Mais cet écart de plume n’enlève rien à la solidité des conclusions de l’article. Mme André Léo a très bien compris la portée de la lutte qui commençait dans l’Internationale, et elle la rattache, avec logique, aux revendications de la Commune contre l’État :


L’unité nouvelle n’est pas l’uniformité, mais son contraire ; c’est l’expansion de toutes les initiatives, de toutes les libertés, de toutes les conceptions, reliées par le seul fait d’une nature commune ;... c’est cette autonomie du citoyen, réalisée par l’autonomie du premier groupe social, la Commune, que la France vient d’ébaucher, en tâtonnant, de sa main blessée par le fer de l’unité despotique. C’est le second acte de la grande Révolution qui commence... Et l’Association internationale, agent naturel de cette œuvre, irait, à la suite de cerveaux étroits et affolés, recommencer l’épreuve faite, et si cruellement faite, de 1802 à 1871 ! Cela ne saurait être. Que la politique du vieux monde aille de ce côté ; le socialisme n’a rien à faire avec elle ; pour lui, c’est le chemin opposé qu’il doit prendre, celui de la liberté de tous dans l’égalité[3].


Comme complément de ce dernier article, je donne un passage d’une autre lettre de Mme André Léo à Mathilde Rœderer, du 12 novembre. Elle y dit à sa « bonne et chère enfant » :


Nous faisons ici une campagne contre les résolutions de la Conférence de Londres, qui sont unitariennes et autoritaires, et contre Karl Marx, le mauvais génie, le Bismarck de l’Association internationale. C’est moi qui ai attaché le grelot. Vous avez dû voir tout cela si vous recevez la Révolution sociale[4].


Le Conseil général de Londres observait toujours le silence envers la Section de propagande et d’action socialiste de Genève ; mais ce silence était par lui-même assez significatif. D’ailleurs, on savait maintenant que par une résolution de la Conférence, il était « désormais défendu aux

  1. À propos de cette phrase de la Révolution sociale, Marx écrit à Bolte, le 23 novembre 1871 : « Bakounine s’est mis en rapport avec la partie canaille de la proscription française (mit dem verlumpten Teil der französischen Fluchtlingschaft) à Genève et à Londres. Le mot d’ordre est qu’au Conseil général règne le pangermanisme, le bismarckisme... Le crime consiste en ceci, que les éléments anglais et français sont dominés (!), en matière de théorie, par l’élément allemand, et qu’ils trouvent cette domination, c’est-à-dire la science allemande, très utile et même indispensable. »
  2. Marx traitant Bakounine d’agent panslaviste, et le Volksstaat disant, à propos de l’affiche rouge de Lyon : « On n’aurait pas pu mieux faire au bureau de la presse, à Berlin, pour servir les desseins de Bismarck », sont condamnés par tout esprit impartial. J’ai dû blâmer, dans le même souci de justice et de vérité, les emportements de Mme André Léo.
  3. Il est intéressant de rapprocher cet exposé de principes du passage du manifeste The Civil War in France reproduit plus haut (p. 191), où Marx a défini, lui aussi, l’idée moderne de Commune. On constatera par là combien, en réalité, on était près de s’entendre sur le terrain de la théorie : et l’entente aurait pu se faire, si la soif de domination personnelle n’avait pas entraîné Marx à transformer en adversaires, qu’il fallait excommunier à tout prix, ceux dont le caractère indépendant refusait de plier sous son autorité.
  4. Lettre communiquée par Mme Charles Keller.