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C’est fâcheux. Mais les grands courants qui travaillent le monde à cette heure doivent se faire sentir là comme ailleurs[1].


Le lendemain du jour où elle avait écrit cette lettre, elle assistait à une fête de l’Internationale genevoise, où Grosselin et Lefrançais prononcèrent l’un et l’autre un discours, et cette fête lui fournit le sujet de son premier article.

Après avoir décrit le cortège des internationaux de Genève, avec musique et drapeau rouge, défilant paisiblement « sous un doux soleil d’automne », elle plaisantait, d’un ton enjoué, Grosselin, « petit patron et député au Grand-Conseil », et sa longue harangue, « pleine d’excellentes intentions, et faite pour contenter tout le monde » ; elle expliquait à Grosselin qu’on ne peut pas « contenter à la fois les bourgeois et les prolétaires, l’Internationale et le Grand-Conseil », ni « donner à l’ouvrier le bien-être, la justice, l’égalité, sans rien ôter à personne ». Elle louait ensuite le discours de Lefrançais, qui avait remis les choses au point et qui « renfermait de bonnes vérités en peu de mots ». Puis elle terminait par une historiette significative, qui allait servir de point de départ à la campagne qu’elle entreprenait contre l’intrigue des hommes du Temple-Unique :


Au milieu des joies de cette fête, un fait étrange nous a frappé. Chaque membre de l’Internationale portait un nœud rouge. — Eh quoi ! vous avez négligé le signe distinctif, disons-nous à l’un des plus sérieux, des plus ardents, des plus vrais démocrates de ce pays[2], en l’abordant.

— Pas du tout. Je suis expulsé.

— Impossible ! Et pourquoi cela ?

— Pour les mêmes raisons qui font que je viens d’être refusé, nous dit un autre[3], frère de cœur de celui-là.

— Voulez-vous m’expliquer cette étrangeté ?

— Un autre jour. Ici, quoi qu’on ait fait, nous sommes de la fête, et l’heure est trop belle pour la troubler du récit de mesquines intrigues, de personnalités et de coteries. — Nous y reviendrons.


Dans le numéro suivant (2 novembre), elle y revenait en effet. On lui racontait la fondation de l’Alliance, créée par « des membres de l’Internationale, dont l’un possédait un nom européen, tels autres une réputation locale d’intelligence, de dévouement et de loyauté qui associaient à leur nom le respect et la sympathie » ; on lui disait les querelles qui suivirent le Congrès de la Chaux-de-Fonds[4] : « Les Sections des Montagnes acceptaient l’Alliance ; leur journal fut excommunié par le Conseil général… Quant aux Sections de Genève, elles s’occupèrent — je ne dis pas tous les membres, mais certains, par qui les autres se laissaient conduire — elles s’occupèrent de chasser de leur sein ces athées, ces anarchistes, qui avaient osé déclarer déchu le principe d’autorité. » L’auteur de l’article se récrie : « Vous me dites des choses si énormes !… Fantastique ! Est-ce donc M. de Bismarck qui règne au Conseil de Londres ? » L’interlocuteur ajoute : « Les citoyens expulsés eurent un tort grave, celui de rester passifs et de ne point accepter la lutte ; ils devaient à leurs frères, égarés par des intrigues, de les éduquer… Ils cédèrent au dégoût de voir des ambitions personnelles,

  1. Lettre communiquée par Mme Charles Keller.
  2. Charles Perron.
  3. Je ne sais pas de qui il s’agit : sans doute de quelque ancien membre de la Section de l’Alliance qui avait demandé à faire partie de la Section centrale.
  4. Mme André Léo s’est trompée sur un point, dans le récit qu’elle met dans la bouche de son interlocuteur : elle place avant le Congrès de la Chaux-de-Fonds, en 1870, l’incident relatif à la dénégation, par Mme Dmitrief, de l’authenticité des lettres d’Eccarius et de Jung, tandis que cet incident est du printemps de 1871.