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de grotesques représentants de leur propre personne, se trouvent de malheureux délégués pris au dépourvu en face de questions dont ils n’ont eu d’avance aucune idée.


Ce texte de Robin, que j’ai tenu à reproduire ici, et que j’avais sous les yeux en 1872 ou 1873 en écrivant, permet de comprendre comment j’ai été amené à écrire dans le Mémoire de la Fédération Jurassienne (pages 206-207), à la suite de mon guide : « Loin qu’on ait supprimé dans une traduction française des mots qui existaient dans un texte original et officiel anglais, c’est le contraire qui a eu lieu ; c’est le Conseil général qui a ajouté en 1867 au texte officiel, adopté en français par le Congrès de Genève en 1866, des mots que ce Congrès n’avait pas adoptés ». Je croyais, moi aussi, qu’on n’avait voté à Genève que sur un texte français, et que celui-là seul, par conséquent, était le texte authentique et officiel. Et empruntant à Robin l’accusation de faux qu’il élève contre ceux qu’il pensait « avoir altéré en les traduisant en anglais les considérants adoptés en français », j’avais dit encore : « Et M. Marx a l’impudeur de parler d’erreur de traduction, d’une connaissance insuffisante de la langue anglaise de la part des traducteurs français ; tandis que c’est lui qui est le faussaire, et qui falsifie sciemment des statuts adoptés par un Congrès ! »

Non, Marx n’a pas, en 1867, traduit en anglais les considérants adoptés en français, il ne les a pas altérés en les traduisant : c’est là une erreur. Il y avait un texte anglais des considérants sur lequel le Congrès de Genève a voté aussi bien que sur les textes français et allemand : c’est ce texte anglais, authentique au même titre que le texte français, et identique à celui des Provisional Rules de 1864, que Marx a reproduit dans l’édition de 1867 ; et il n’est nullement la traduction anglaise d’un texte officiel français.

Mais il est exact de dire que l’opération inverse a bien réellement été faite par Marx. Il existait, dès le 5 septembre 1866, un texte français définitif, authentique, adopté par le Congrès de Genève ; et en 1867, Marx, remarquant qu’il y avait des divergences entre ce texte français et le texte anglais, a cru qu’il pouvait se permettre de modifier le texte français pour le rendre conforme au texte anglais. Il a donc, dans l’édition publiée en 1867 par le Congrès général, altéré le texte français des considérants, bien que ce texte français eût été adopté par le Congrès de Genève ; et c’est en toute tranquillité de conscience qu’il a procédé à cette altération, qui, dans sa pensée, était simplement une correction destinée à rendre le texte français plus exact. Il n’a certainement pas su, dans tous les détails, de quelle façon les choses s’étaient passées au Congrès de Genève ; il n’a jamais eu l’idée de ce fait si simple, que le texte français était authentique au même titre que le texte anglais, qu’il n’était pas permis au Conseil général d’y toucher, et que seul un Congrès général pouvait défaire ce que le Congrès de Genève avait fait.

La marche à suivre eût donc été celle qu’indique Robin dans sa conclusion. Puisque le Conseil général avait constaté qu’il y avait des différences entre les textes, au lieu de s’attribuer le pouvoir de faire lui-même une correction qu’il estimait nécessaire, et de la faire sans en souffler mot à personne, il eût dû charger ses délégués d’en parler au Congrès de Lausanne, et « en une heure tout eût été rétabli ». Ce qui fut fait en 1870 à Paris sur une simple observation de Lafargue, aurait certainement été fait à Lausanne en 1867 par un vote unanime des délégués.


Plus loin j’ai écrit (p. 208 du Mémoire) : « Un autre faux, bien plus grave encore, ce fut l’adjonction, dans l’édition anglaise de 1867, de l’alinéa[1] « autorisant le Conseil général à s’adjoindre lui-même de nouveaux

  1. Ce n’est pas un « alinéa » ; ce sont ces sept mots intercalés dans une phrase : with power to add to their members. Je n’avais pas vu de mes yeux cette édition anglaise, dont l’existence m’avait été signalée par Robin. Quant à l’édition française de 1867, je ne l’ai connue qu’en 1905 : voir tome Ier, p. 57.