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Cette lettre fut envoyée par Schwitzguébel à Robin, avec prière d’en donner lecture à la Conférence. On verra comment celle-ci devait répondre à cet appel fait, en termes si mesurés et si dignes, « à l’esprit d’équité qui doit animer toute réunion de l’Internationale. »


Si je ne fis pas le voyage de Londres, par contre j’allai rendre visite à Bakounine à Locarno. Mais je ne puis préciser la date exacte : tout ce que je sais, c’est que c’était dans la saison chaude, en août ou en septembre. Je n’ai pu retrouver, dans les quelques papiers qui me restent de cette époque, aucune indication sur ce voyage ; et Bakounine n’a pas noté ma visite dans son calendrier-journal, qui présente plusieurs lacunes.

Il y avait longtemps qu’il me pressait d’aller le voir ; à chaque fois que quelque incident se présentait, affaires italiennes, question de la Section de l’Alliance, Conférence de Londres, etc., il m’écrivait qu’il était absolument nécessaire que nous pussions causer, que la correspondance était un moyen insuffisant pour arriver à l’ententt complète, et que seule la conversation permettait de bien s’expliquer. Bakounine se déplaçait fréquemment et volontiers : depuis le moment où il s’était installé à Locarno en octobre 1869 il n’avait pas fait moins de sept voyages plus ou moins longs[1]. Il trouvait étonnant que les autres ne fissent pas comme lui, et il nous avait reproché souvent d’être trop casaniers. Je finis par céder à ses instances, une semaine où je trouvai la possibilité de prendre un congé de quelques jours : mais tout en me rendant à son appel, je restais persuadé que ce déplacement coûteux était parfaitement superflu, et que nous n’échangerions aucunes explications qui n’eussent pu parfaitement être confiées au papier. L’événement justifia mes prévisions : nos conversations furent des plus attrayantes pour moi, car Bakounine, je l’ai déjà dit, était un charmeur, mais elles n’eurent aucun résultat pratique quelconque : mon voyage à Locarno fut une simple partie de plaisir, dont j’ai gardé un souvenir très agréable.

Parti de Neuchâtel pour Lucerne par le premier train, je débarquai à Fluelen vers midi, et pris la diligence du Gothard, qui m’amena le soir à Gœschenen où je couchai ; au dîner, je fis connaissance pour la première fois avec le risotto italien. Cette première partie du trajet m’était familière, car deux fois déjà j’avais visité le lac de Lucerne et le canton d’Uri, en juillet 1865 avec mon père, en octobre 1869 avec ma femme. Le lendemain, je franchis le Gothard, en diligence, et, après avoir beaucoup souffert de la chaleur et de la soif dans l’interminable descente de la vallée du Tessin par une après-midi et une soirée brûlantes, j’arrivai vers minuit à Bellinzona, qui fut ma seconde étape. Le troisième jour, la voiture postale me conduisit de Bellinzona à Magadino, où je pris le bateau à vapeur pour Locarno. Bakounine m’attendait au débarcadère ; il avait retenu pour moi une petite chambre dans une auberge voisine; arès que j’y eus déposé mon bagage, il me conduisit à la maison de la Signora Vedova Teresa Pedrazzini, où il habitait. Sa femme était absente, ainsi que les deux enfants ; mais il avait un hôte, un jeune ouvrier de Florence, nommé Gaetano Grassi, arrivé de la veille ou de l’avant-veille. Pendant la journée, Bakounine se tenait dans une grande pièce du rez-de-chaussée, donnant sur un jardin, et qui lui servait de chambre à coucher et de cabinet de travail. Pour les repas la table était dressée dans le jardin. Il m’est resté peu de souvenirs précis de l’emploi de notre temps. Un matin je fis l’ascension du sentier escarpé et du long escalier, en partie taillé dans le roc,

  1. Le 9 mars 1870, départ de Locarno pour Genève, rentrée à Locarno vers le 20 avril ; vers le 25 avril, voyage à Milan, et rentrée à Locarno le 1er mai ; vers le 15 mai, départ de Locarno pour Genève, rentrée à Locarno vers le 27 mai ; vers le 20 juin, troisième voyage à Genève, et rentrée à Locarno vers le 26 juillet ; le 9 septembre, départ pour Lyon et Marseille, rentrée à Locarno par Gênes vers le 28 octobre ; le 19 mars 1871, départ pour Florence, rentrée à Locarno le 3 avril ; enfin, le 25 avril, départ pour le Jura, et rentrée à Locarno le 1er juin.