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loyale d’agir. Le grand homme, ordinairement si sûr au milieu de ses courtisans, était abasourdi. Il était pris en flagrant délit de mensonge, et son acte était authentiquement constaté[1]. J’avais le cœur soulevé de voir le philosophe socialiste si petit.

Eh bien, malgré tout, en sortant de la séance, dans mes pénibles réflexions, je rejetais sur la pitoyable nature humaine la mesquinerie d’un seul. Pour moi, le dieu était descendu de son autel, mais il restait encore l’homme autrefois utile, trompé jusqu’au point de commettre une indignité, et qu’il fallait, si possible, empêcher de persévérer dans l’erreur. Aussi, à quelque temps de là, ayant reçu de Genève une lettre d’ami qui me parlait de la nullité actuelle de l’Internationale dans cette ville, je crus devoir, dans une lettre à Marx à propos d’autres choses, intercaler un paragraphe où je lui conseillais, avec tout le respect et la modération que l’on pouvait souhaiter vu nos âges respectifs, de n’être pas trop sûr d’avance à propos de l’affaire suisse, d’avoir le simple doute philosophique, et d’attendre la discussion à la Conférence. Marx a sans doute bien ri de ma candeur, et, comme de juste, ne m’a jamais répondu.


Ce fut par mon intermédiaire que Robin fît parvenir à la Section de l’Alliance de Genève le double qui lui était destiné ; Robin m’annonçait en même temps qu’une Conférence allait être convoquée à Londres. En transmettant à Joukovsky le document et la lettre de Robin, le 27 ou le 28 juillet, je l’engageai à examiner si, maintenant qu’elle avait obtenu ainsi du Conseil général la reconnaissance de la régularité de sa situation, la Section de l’Alliance, prenant en considération l’intérêt supérieur de l’Internationale, n’agirait pas sagement en renonçant d’elle-même à prolonger davantage une existence qui, depuis longtemps, n’avait plus aucune utilité. J’avais pu constater que les réfugiés de la Commune avaient beaucoup de peine à se rendre compte de la véritable situation ; nos adversaires cherchaient à leur persuader que la scission n’avait nullement été le résultat d’une divergence sérieuse de principes, qu’elle était due simplement à des querelles de personnes, et en particulier à l’obstination ridicule d’une poignée d’hommes qui voulaient absolument imposer à la Fédération genevoise l’obligation de recevoir dans son sein une Section dont elle ne voulait pas. Il était chimérique d’espérer que ceux de ces réfugiés qui habitaient Genève se décideraient à devenir membres de l’Alliance : celle-ci allait donc voir son isolement devenir plus grand encore ; tandis qu’une fois que sa dissolution aurait été prononcée par elle-même, les membres qui l’avaient composée n’auraient plus rien qui les empêchât d’établir entre eux et les proscrits français des liens sérieux de solidarité en vue d’une action commune.

Les mêmes conseils furent certainement donnés à Joukovsky et à Perron par ceux des réfugiés de la Commune qu’ils durent consulter, Malon, Lefrançais, Claris, Jules Guesde, Jules Montels, et autres.

Par la dissolution de la Section de l’Alliance, ajoutais-je, on enlevait du même coup à la coterie marxiste du Conseil général le prétexte qu’elle croyait déjà tenir pour prendre contre nous et faire approuver par la future Conférence des mesures funestes, qui pourraient entraver la libre organisation de nos Sections.

J’écrivis à Bakounine dans le même sens qu’à Joukovsky. Mais il ne goûta pas mes raisons. Il fallait, pensait-il, accepter la lutte sur le terrain où nous nous trouvions ; et si la Section de l’Alliance devait se dissoudre un jour, ce ne pourrait être qu’après avoir triomphé de ses

  1. C’est-à-dire que ce qu’il avait dit à Mme  Dmitrief était reconnu n’être pas conforme à la vérité.