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du groupe Polyphème, Acis et Galatée, qui orne la fontaine de Médicis, dans le jardin du Luxembourg) ; mais il fallait l’y conduire : ce fut le pasteur Edmond de Pressensé qui, bien que d’une opinion politique très opposée, se chargea de lui faire traverser, en lui donnant le bras, les rues encore toutes remplies d’officiers fusilleurs. Vers le 15 juillet, Malon quitta Paris pour se rendre en Suisse par la ligne de l’Est, accompagné d’Ottin et de Mme  Ottin, et muni d’un passeport au nom de leur fils Léon. Les voyageurs, arrivés à Bâle, s’y arrêtèrent pour attendre Mme  Champseix, qui ne les y rejoignit que huit jours plus tard ; Ostyn, membre de la Commune (19e arrondissement), les y rencontra aussi fortuitement. Tous ensemble prirent le train pour Neuchâtel le mardi 25 juillet, après m’avoir télégraphié la veille pour m’annoncer leur arrivée. Ma femme était absente : elle se trouvait depuis quelques jours, avec notre enfant, en visite à la campagne, chez son frère aîné, au canton de Vaud. Ma première idée avait été d’offrir l’hospitalité, sinon aux cinq voyageurs, du moins à deux ou trois d’entr’eux, chez moi et chez mes parents, qui m’y avaient autorisé : mais ils ne voulurent pas accepter, et se logèrent tous à l’hôtel. Le vieux statuaire qui servait de père à Malon voulait profiter de son passage à Neuchâtel et de mes relations pour faire connaître aux autorités compétentes une méthode d’enseignement du dessin dont il était l’auteur, et dont il espérait pouvoir obtenir l’introduction dans les écoles de la Suisse française ; sur ses instances, je le conduisis chez M. Louis Favre, professeur de dessin, qui le reçut poliment, mais froidement, et lui fit comprendre que la Suisse se suffisait à elle-même et n’avait pas besoin des lumières de Paris. Toute la caravane repartit pour Genève le jeudi matin, excepté Mme  André Léo, qui, se proposant d’entreprendre immédiatement une campagne de conférences sur la Commune, et voulant commencer par la Chaux-de-Fonds, où elle avait des amis, demeura encore trois jours à Neuchâtel. Le jeudi 27 juillet, j’écrivais à ma femme :


... Mme  André Léo est encore à Neuchâtel jusqu’à dimanche ; elle va faire des conférences à la Chaux-de-Fonds, puis à Genève. J’espère que tu la verras lorsqu’elle repassera par ici.

Malon est parti ce matin. Je suis enchanté de lui ; j’ai rarement rencontré d’homme aussi sympathique. Tu le verras aussi lorsqu’il reviendra.

Mme  André Léo loge à l’hôtel du Raisin ; elle passe ses journées à travailler à un livre qu’elle écrit ; et elle m’a prié de venir chaque soir après souper la prendre pour faire un tour de promenade. Je le ferai avec grand plaisir, car sa conversation est très intéressante. En même temps elle est simple au possible : ce matin je l’ai trouvée reprisant des bas, comme une vieille grand-maman.

Ma mère est remise ; elle est revenue hier s’informer si elle aurait à loger un de nos visiteurs ; mais ils ont voulu rester à l’hôtel. Je voudrais pourtant bien qu’on pût épargner à Mme  Champseix, qui est pauvre, ses frais d’hôtel ; mais comment faire ?


De la Chaux-de-Fonds, Mme  Champseix adressa la lettre suivante, le mercredi 2 août, à Mlle s Mathilde Rœderer et Élise Grimm, à Bischwiller, deux jeunes Alsaciennes avec lesquelles elle était liée d’amitié, et qui par son intermédiaire allaient devenir nos amies aussi[1] :


Chaux-de-Fonds, 2 août 1871.

Mes bien bonnes et chères amies, il me vient ce matin comme un soupçon, comme un remords presque, que je ne vous aurais point

  1. Je dois la communication de cette lettre à l’obligeance de Mme  Charles Keller (Mathilde Rœderer).