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passages, parce que la personnalité de Schwitzguébel s’y dessine mieux que dans les articles de journaux et les circulaires :


Ma chère demoiselle,

Il m’a été impossible de vous écrire plus tôt ; arrivé à la maison, j’ai dû me mettre au travail, sans pouvoir broncher, afin de racheter les bonnes grâces de mes parents, qui étaient quelque peu mécontents de mon absence de quelques jours.

... Je suis impatient de recevoir des nouvelles de nos amis de Paris. [Suivent des indications sur la façon de correspondre au moyen d’un dictionnaire chiffré]... Dans votre prochaine lettre, vous voudrez bien aussi me donner quelques détails sur la situation morale des ouvriers à Paris : si la chute de la Commune les a démoralisés, oui ou non ; s’il y a espoir d’arriver, alors que la terreur blanche aura cessé, à un regroupement sérieux et général ; enfin si vous, qui avez exprimé, en ma présence, la résolution énergique de vous occuper de réunir de nouveau les éléments socialistes, êtes déjà arrivée à quelque résultat pratique.

Croyez bien que lorsque j’ai communiqué à nos amis sûrs le résultat de notre entrevue avec vous et Mme  Léo, tous ont admiré votre fermeté morale à toutes deux. Il était bien naturel que nous, qui voyions les événements de loin, devenions encore plus énergiquement résolus en apprenant les atrocités commises contre nos frères ; mais au centre même de l’orage réactionnaire, rester ferme, sereine, ne point montrer de colère, mais de la réflexion, du calme, un pareil spectacle a produit sur moi une impression qui ne s’effacera pas et qui m’attache à vous par l’estime, le respect...

J’apprends que les réfugiés français vont constituer à Genève une Section ayant surtout pour but la propagande en France. Vous voyez que partout, loin de nous affaiblir, les événements, quoique désastreux, nous fortifient et augmentent l’énergie de tous les amis dévoués et sincères. Il vous sera sans doute agréable de savoir les noms de quelques-uns des réfugiés résidant à Genève : Lefrançais, Dereure, Mégy, Razona, Frankel, Mme  Paule Mink, quelques Lyonnais, Marseillais, et encore quelques Parisiens dont j’ignore les noms. Malheureusement ces amis arrivent parmi nous au milieu d’une lutte intestine, suite de la scission survenue au Congrès romand de la Chaux-de-Fonds et dont Mme  Léo a eu connaissance. M. Outine, un intrigant, un vaniteux, dans un moment si critique, se laisse guider par des animosités personnelles et remue ciel et terre pour faire exclure de l’Internationale les meilleurs éléments de notre Fédération, James Guillaume, Perron et d’autres encore. Les Français se sont fait expliquer tous ces faits et prennent parti pour notre Fédération. Nous avions, pendant longtemps, bêtement laissé faire ces messieurs, et ils en profitèrent pour ourdir contre notre Fédération un véritable complot ; le Conseil général lui-même était sur le point de nous exclure, mais, grâce à Robin, l’affaire est ajournée. Tout ceci viendra au prochain Congrès général.

Je ne voudrais pas que ces quelques lignes vous fassent une mauvaise impression relativement à nos adversaires, qui, je crois, cherchent aussi à vous être utiles ; éloignés comme vous l’êtes, vous ne pouvez apprécier tous ces faits, et le mieux c’est de rester neutres en attendant que les circonstances vous permettent de juger en entière connaissance de cause.