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un trait essentiel de son caractère ; et le résultat fut, à l’unanimité, déclaré acceptable. Schwitzguébel partit, nous laissant fort inquiets, et bien impatients de recevoir la nouvelle de son arrivée à bon port.

Le même jour, un de mes amis d’enfance, un jeune peintre, Gustave Jeanneret, devenu aujourd’hui un artiste éminent, — qui, fixé à Paris depuis 1869, était revenu à Neuchâtel au commencement de la guerre, et, gagné aux idées socialistes, s’était affilié à l’Internationale, — venait m’annoncer son prochain départ pour Paris, où il allait reprendre ses travaux et ses études. Je regrettai vivement de ne l’avoir pas su plus tôt, car il aurait pu se charger du sac.

Voici deux billets écrits à Joukovsky, — enfin retrouvé, — le 4 et le 5 :


4 juillet.

Mon cher, Adhémar est parti hier à quatre heures. Je ne puis t’en dire davantage pour le moment. J’ai bon espoir.

Envoie au plus vite à Spichiger les comptes du journal et le registre des abonnés. Absolument il faut qu’un numéro paraisse cette semaine, et cela dépend de l’activité que tu mettras à faire cet envoi.

Mes amitiés à Charles.

J. G.


Mercredi après-midi.

Mon cher, J’espère pouvoir te donner demain des nouvelles d’Adhémar, qui est parti lundi conformément au télégramme.

Je suis très angoissé, j’ai grand peur qu’il ne lui arrive un accident. Je me reproche de l’avoir laissé partir, d’autant plus qu’une heure après son départ j’ai trouvé quelqu’un qui aurait pu plus facilement que lui faire ce voyage.

Enfin, demain nous saurons ce qu’il en est.

J. G.


Schwitzguéhel revint de Paris sain et sauf, le samedi ou le dimanche suivant. Il avait vu Mme André Léo, qui était cachée chez Mlle P. ; et ce fut avec un des passeports apportés par lui que Léodile Champseix[1] quitta Paris, une quinzaine de jours plus tard, pour venir en Suisse.

Je me rendis à Genève vers le 10 juillet : quelques réfugiés de la Commune y étaient déjà arrivés, et une réunion avait été convoquée, à laquelle Perron et Joukovsky m’avaient engagé à assister. Je rencontrai là plusieurs proscrits ; un tout petit jeune homme, noiraud, fort laid, vint me donner une poignée de main en me disant d’un air mystérieux qu’il était Léo Frankel ; avec lui était une dame, Mme Paule Mink, qui m’annonça qu’elle voulait faire une tournée de conférences et m’offrit d’aller à cet effet à Neuchâtel et aux Montagnes. Je ne vis pas Lefrançais, quoiqu’il fût arrivé à Genève quelques jours auparavant, le 3 juillet ; par prudence, il se tenait encore caché ; il se dissimula longtemps sous le nom de Bedel, qui était celui de l’ami dont il avait emprunté le passeport pour franchir la frontière à Bellegarde. La réunion avait pour but de constituer une Section de l’Internationale qui ferait de la propagande en France ; mais ce projet n’aboutit pas pour le moment. On parla aussi du conflit avec Londres, et il fut, dès ce moment, question de la suppression du Conseil général.

Il existe une lettre (sans date, mais qui doit être du dimanche 16 juillet) écrite par Schwitzguébel à Mlle Pauline P., et que la destinataire avait soigneusement conservée[2]. Je veux en citer ici quelques

  1. On sait que Mme André Léo — de son nom de fille Léodille Béra — avait épousé en 1851 un républicain français beaucoup plus âgé qu’elle, Champseix, mort vers 1860 ; elle était mère de deux fils jumeaux, André et Léo, et ce sont les prénoms de ses fils qui lui fournirent le pseudonyme sous lequel elle se fit connaître comme écrivain.
  2. Elle l’a remise cette année même (1905) à mon ami Lucien Descaves, qui a bien voulu me la communiquer.