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développement que par l’action spontanée et continue des masses, des groupes et des associations populaires.

Nos amis de Paris ont eu parfaitement raison...


En même temps qu’il écrit ces pages, — qui ne furent malheureusement pas publiées de son vivant, — Bakounine se préoccupe de l’état des esprits en Italie, où les événements de Paris avaient produit une agitation considérable ; les mazziniens étaient hostiles à la Commune, les garibaldiens, au contraire, lui étaient sympathiques ; Bakounine entre en relations, par une lettre écrite le 24 juin, avec Achille Bizzoni, directeur d’un petit journal radical de Milan, le Gazzettino rosa, au moyen duquel, à défaut d’un organe socialiste qui n’existe pas encore, il espère pouvoir faire pénétrer en Italie les idées du socialisme révolutionnaire ; il allait bientôt intervenir directement, et avec un éclat qu’on n’a pas oublié, dans les affaires italiennes, par sa polémique retentissante contre Mazzini (voir plus loin p. 173).

Il suit également les événements d’Espagne, où l’Internationale est persécutée ; il reçoit le 3 juillet une lettre que Sentiñon, arrêté depuis quelques jours, lui écrit de la forteresse de Montjuich : Sentiñon avait mis sa signature, en même temps qu’un autre international de Barcelone, Clemente Bové, au bas d’une protestation contre les égorgeurs du prolétariat français (Manifiesto de algunos partidarios de la Comuna a los poderosos de la tierra, « Manifeste de quelques partisans de la Commune aux puissants de la terre ») ; ce manifeste fut saisi et ses deux signataires emprisonnés.

Mais Bakounine apprend ce qui se passe à Londres et à Genève, et aussitôt il prend feu : il pense que la question du conflit entre la Fédération des Montagnes et la Fédération de Genève sera portée devant le Congrès général dont la convocation ne peut manquer d’être prochaine, et le 4 juillet il commence à écrire un exposé des origines du conflit, qui est désigné, dans son calendrier-journal, tantôt sous le nom de Protestation de l’Alliance, tantôt sous celui d’Appel ; dès le 9 juillet, il m’envoie les 41 premières pages de ce nouveau travail ; le 16 il m’expédie les pages 42-91, et le 20 la fin, pages 92-141. Je possède encore les feuillets 63-141 de ce manuscrit, les 62 premiers feuillets, que j’avais envoyés en communication à Genève, ont été perdus.

Le travail de Bakounine n’a pas été utilisé[1]. Il me semble intéressant de faire connaître, à titre de témoignage de son état d’esprit à ce moment, un passage remarquable de cet écrit (feuillets 105-108). Après avoir exposé le fait de la solidarité universelle des prolétaires, fait sur lequel est fondée l’existence de l’Internationale, Bakounine profite de cette occasion pour rendre un juste hommage à Marx, ainsi qu’à deux autres socialistes allemands, Engels et Becker :


Il résulte de ce que j’ai montré plus haut, — dit- il, — que tous les corps de métier dans tous les pays du monde sont réellement et indissolublement solidaires.

Cette solidarité se démontre par la science autant que par l’expérience, la science n’étant d’ailleurs rien que l’expérience universelle mise en relief, comparée, systématisée et duement expliquée. Mais elle se manifeste encore au monde ouvrier par la sympathie mutuelle, profonde et passionnée, qui, à mesure que les faits économiques se développent et que leurs conséquences politiques et sociales, toujours de plus en plus amères pour les travailleurs de tous les métiers, se font sentir davantage, croît et devient plus intense dans le cœur du prolétariat tout entier. Les ouvriers de chaque métier et de chaque

  1. À l’exception d’un fragment assez étendu, comprenant les feuillets 123-139, qui a été imprimé, à la fin de 1871, dans notre Almanach du Peuple pour 1871, sous ce titre: Organisation de l’Internationale.