Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

J’ai rarement assisté à une discussion plus embrouillée que celle qui s’engagea, l’après-midi, sur la fixation de l’ordre du jour… Il y eut un instant de trêve lorsqu’on vit entrer un personnage de haute taille, la canne à la main et le chapeau en arrière ; il n’avait pas assisté à la séance du matin, il arrivait. Le nom du nouveau venu court de banc en banc, et les délégués le saluent par une salve spontanée d’applaudissements.

« Qu’est-ce qu’il y a donc chez ce diable de Coullery qui fait battre des mains à des gens dont la plupart ne le connaissent pas ? » me demandais-je.

Mais l’interruption ne fut pas longue, et on se remit bien vite à discuter avec acharnement…

… Enfin on nomma une commission qui fut chargée de mettre tout le monde d’accord. Elle se réunit le soir dans une petite pièce attenante à la salle du Congrès… Ce fut Chemalé qui parla le premier : il présenta un projet d’ordre du jour, et le développa avec une telle lucidité, un tel bon sens, que, lorsqu’il eut fini, on s’écria tout d’une voix : « C’est ça ! » Chemalé avait profité de la discussion ; ses propositions conciliaient tout, faisaient droit à toutes les demandes, et, au bout d’une demi-heure de séance, la commission avait adopté à l’unanimité le projet de l’intelligent Parisien…

Pendant que nous délibérions, un citoyen était venu porter à Coullery le message suivant de la part du peuple assemblé dans le jardin du Casino : « Nous sommes là un millier, hommes et femmes, qui nous sommes réunis pour entendre des discours ; or, personne n’ouvre la bouche, et cela nous dépite ; nous voulons de l’éloquence, de gré ou de force : des discours ou la mort ! — C’est bon, dit Coullery, j’y vais. » Et il y va comme il le dit, et leur fait un discours superbe, si j’en crois les applaudissements frénétiques qui viennent jusqu’à nos oreilles.

Dix minutes après, Coullery vient tranquillement reprendre son siège à la commission, comme si de rien n’était. Mais la foule ne le tient pas quitte, elle est affriandée et demande à recommencer. Un second citoyen apporte bientôt un second message : « Encore un discours, et toujours des discours, ou la mort ! — C’est bon, dit Coullery, j’y vais. » Et l’infatigable orateur retourne à la besogne, et je crois, ma foi, qu’il est éloquent, car on l’applaudit encore plus fort.

La séance de la commission est terminée ; nous allons au jardin entendre Coullery, et d’autres orateurs qui, mis en verve par lui, se sont décidés à monter à la tribune, c’est-à-dire sur une table. Une foule curieuse et sympathique écoute avidement ces étrangers…

Je regagne enfin mon logis, fort désireux de me mettre dans mon lit. Dans notre chambre, je trouve Vézinaud griffonnant à la lueur d’une chandelle fumeuse. Cet ennemi de la famille écrivait une lettre à sa femme.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je ne vous raconterai pas comment, le mardi matin, le Congrès