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pas fédération qui est le véritable nom du système suisse, c’est décentralisation. La Suisse idéalise, à peu de chose près, le système qui avait été établi en France par la constitution de 1791[1], et que l’Assemblée de Versailles, « s’inspirant des grands principes de 1789 », se propose de restaurer pour donner le change aux aspirations fédéralistes.

Le fédéralisme, dans le sens que lui donne la Commune de Paris, et que lui a donné il y a bien des années le grand socialiste Proudhon, qui le premier en a exposé scientifiquement la théorie, — le fédéralisme est avant tout la négation de la nation et de l’État.

Pour le fédéralisme, il n’y a plus de nation, plus d’unité nationale ou territoriale. Il n’y a qu’une agglomération de communes fédérées, agglomération qui n’a d’autre principe déterminant que les intérêts des contractants, et qui par conséquent n’a aucun égard aux questions de nationalisme ou de territoire.

Il n’y a également plus d’État, plus de pouvoir central supérieur aux groupes et leur imposant son autorité : il n’y a que la force collective résultant de la fédération des groupes, et cette force collective, qui s’exerce pour le maintien et la garantie du contrat fédéral, — véritable contrat synallagmatique cette fois, stipulé individuellement par chacune des parties, — cette force collective, disons-nous, ne peut jamais devenir quelque chose d’antérieur et de supérieur aux groupes fédérés, quelque chose d’analogue à ce que l’État est aujourd’hui à la société et aux communes. L’État centralisé et national n’existant donc plus, et les Communes jouissant de la plénitude de leur indépendance, il y a véritablement an-archie, absence d’autorité centrale.

Mais qu’on ne croie pas qu’après avoir supprimé les États et le nationalisme, le fédéralisme aboutisse à l’individualisme absolu, à l’isolement, à l’égoïsme. Non, le fédéralisme est socialiste, c’est-à-dire que pour lui la solidarité est inséparable de la liberté. Les communes, tout en restant absolument autonomes, se sentent, par la force des choses, solidaires entre elles ; et, sans rien sacrifier de leur liberté, ou, disons mieux, pour assurer davantage leur liberté, elles s’unissent étroitement par des contrats fédératifs, où elles stipulent tout ce qui touche à leurs intérêts communs : les grands services publics, l’échange des produits, la garantie des droits individuels, le secours réciproque en cas d’agression quelconque.

Que le peuple français, réveillé enfin par ses malheurs, ouvre les yeux à la lumière de la vérité : qu’il soit en 1871 l’initiateur de la République fédérative et sociale, comme il a été en 1793 le proclamateur des droits de l’homme ; et l’Europe, préservée de la restauration gothique dont la menace l’Empire d’Allemagne, verra luire dans un prochain avenir les jours de la liberté et de l’égalité.


Venait ensuite un long article de Joukovsky, La Commune de Paris, qui donnait, en cinq colonnes, des extraits de décrets de la Commune et d’autres documents, en les commentant. Joukovsky insistait sur le fait que, pour la première fois, Paris n’avait pas prétendu imposer sa volonté

  1. Ne pas confondre la constitution de 1791, œuvre de l’Assemblée constituante, avec la constitution jacobine de 1793, œuvre de la Convention. (Note de l’original.)