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voit faire le mal, son devoir n’est-il pas de le réprouver, sans demander pour cela l’avis de son voisin, et quand même il serait tout seul à le faire ? Ensuite, pour produire le mouvement grandiose dont vous parlez, ne faut-il pas que quelqu’un commence, et n’est-il pas admirable — et non ridicule — de voir les ouvriers comprendre leur devoir d’hommes mieux que les souverains et les gouvernements ?

— Parlez-vous sérieusement ?

— Très sérieusement, et je n’ai pas tout dit. N’est-il pas admirable encore de voir que, pendant que des ambitieux haut placés cherchent à réveiller les haines nationales pour arriver à leurs fins, des hommes du peuple élèvent la voix pour proclamer la fraternité et la solidarité de toutes les nations ? Vous trouvez qu’on ne doit pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas ; vous croyez que parce qu’en ce moment la guerre ne menace directement que l’Allemagne et la France, les ouvriers suisses ont tort de se permettre de dire leur façon de penser à ce sujet. Mais si vous êtes partisan du chacun pour soi, chacun chez soi. Permettez-moi d’être d’un autre avis ; et pendant que vous dormez sur le triste oreiller d’une indifférence égoïste, laissez-nous sympathiser avec ceux qui souffrent, et leur exprimer à haute voix notre sympathie.

— Et moi, mon bon ami, laissez-moi vous complimenter de votre joli talent de prédicateur.

— Dites-moi, pour finir, agréable plaisant que vous êtes, avez-vous lu Voltaire ? Non, sans doute, ce n’est pas votre homme ; il y a pourtant des gens qui disent qu’il avait autant d’esprit que Messieurs X., Y. et Z. Eh bien, sachez-le : Voltaire pensait exactement comme les ouvriers du Locle ; il aurait signé leur protestation des deux mains, et c’est lui qui a exprimé la solidarité non seulement du genre humain, mais de la création tout entière, par ces belles paroles : « Lorsque quelqu’un commet une injustice sur notre globe ou dans la planète Saturne, ou dans l’étoile Sirius, il est coupable envers tous les mondes ».

— Merci du sermon. J’irai conter cela au cercle.

Jacques.


IV

Le second Congrès général de l’Internationale, à Lausanne
(2-7 septembre 1867).


Le second Congrès général de l’Internationale devait avoir lieu à Lausanne, du 2 au 7 septembre. La semaine suivante s’ouvrait à Genève un Congrès convoqué par la Ligue de la paix et de la liberté, qui venait de se fonder à Paris sur l’initiative d’Émile Acollas ; à ce Congrès de la paix devait prendre part l’élite de la démocratie européenne, — on annonçait entre autres la présence de Garibaldi, d’Edgar Quinet, de Bakounine, — et l’Internationale avait été invitée à s’y faire représenter.

La Section du Locle me nomma son délégué, comme l’année précédente, et je réussis à obtenir un congé pour me rendre à Lausanne et à Genève. À Lausanne, je fus l’un des secrétaires du Congrès, chargé spécialement de la rédaction des procès-verbaux, et je reçus la mission d’en surveiller ensuite l’impression en un volume[1] ; en outre le Congrès

  1. Ce fut Coullery, propriétaire de l’imprimerie de la Voix de l’Avenir, qui fut chargé par le Congrès de l’impression de ses procès-verbaux. Le volume ne parut que dans le courant de l’année 1868.