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et soient entrés dans ses rangs, nous rendons au moins publique, par la voie de la presse, cette protestation solennelle contre l’effusion du sang.

Locle, le 28 avril 1867.

La Section du Locle de l’Association internationale des travailleurs.


Cette protestation fit quelque bruit. On s’en amusa dans les cercles de la bourgeoisie ; et je publiai à cette occasion dans le Diogène[1] du 13 mai l’article suivant :


Une idée cocasse.

— L’avez-vous lu, dites-moi ? Oh ! la bonne farce !

— De quoi parlez-vous ?

— Hé ! de cette plaisanterie qui va faire le tour de nos journaux. A-t-on jamais rien vu de plus cocasse ? Les ouvriers du Locle qui s’avisent de vouloir empêcher la guerre, et qui publient dans la grande Feuille d’avis une « protestation contre l’effusion du sang » !

— J’ai lu cette pièce, mais je ne comprends pas pourquoi vous l’appelez une bonne farce.

— Comment ! vous n’en avez pas ri ?

— Moi ? pas du tout.

— Est-ce que vous donneriez aussi un peu dans le socialisme, vous ? Si vous vous laissez aller à ces choses-là, on vous fera une belle scie au cercle.

— Mais vous qui riez de l’idée des ouvriers du Locle, dites-moi donc ce que vous y trouvez de ridicule ?

— Ma foi, ça ne s’explique pas, ça se sent ; je ne veux pas m’amuser à vous donner des raisons ; mais si vous aviez entendu hier soir X., Y. et Z. en faire des gorges chaudes, vous penseriez comme moi.

— Non pas : et vous-même, quoi que vous en disiez, je vous crois trop raisonnable et aussi trop indépendant, que diable ! pour fonder votre opinion d’homme et de citoyen sur les railleries plus ou moins spirituelles de ces messieurs. Je ne me paie pas d’éclats de rire, ni vous non plus, j’espère ; aussi, en votre qualité d’homme grave et bien pensant, vous êtes tenu de me déclarer les motifs qui vous font trouver ridicule un acte aussi sérieux et aussi naturel que celui que vous critiquez.

— Vous voulez absolument des raisons ? Eh bien, ma raison la voici, et cela saute aux yeux. Si ceux qui protestent étaient au nombre de plusieurs millions, ou au moins de plusieurs milliers, je dirais : Voilà qui est bien, c’est un mouvement grandiose et auquel je veux m’associer. Mais une centaine d’individus, de simples ouvriers, qui se mettent en tête de déclarer que la guerre est injuste et mauvaise, à quoi cela sert-il ? Et puis, est-ce que cela les regarde ?

— Oh ! le beau raisonnement. Est-ce qu’une chose est bonne ou mauvaise à raison du nombre de ceux qui la font ? Quand un homme

  1. Le Diogène était un journal satirique paraissant à la Chaux-de-Fonds (il s’imprimait à l’imprimerie de la Voix de l’Avenir), et que rédigeait alors mon ami Henri Morel. Il luttait vaillamment contre tous les préjugés, et se montrait sympathique aux idées socialistes.