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Inutile de relever les inexactitudes, les unes voulues, les autres inconscientes, que Marx a accumulées en ce peu de lignes. Bakounine n’était pas arrivé à Lyon le 28, jour du mouvement, mais le 15 ; ce mouvement, il ne s’y était pas associé après coup, mais c’était lui-même qui l’avait préparé treize jours durant ; il n’était pas entré à l’hôtel de ville à la suite du peuple, mais, avec Saignes et Parraton, il en avait forcé les portes, frayant la route à la foule ; une fois dans la place, il ne s’était pas amusé à « décréter l’abolition de l’Etat » : au contraire, pendant que les membres du Comité perdaient leur temps à rédiger des arrêtés, il n’avait cessé d’insister, vainement, pour une action énergique et immédiate ; si les gardes nationaux bourgeois étaient, quelques heures plus tard, rentrés dans le palais municipal, ce n’était pas « par une porte qu’on avait oublié de garder » : la trahison de Cluseret, la lâcheté d’Albert Richard étaient les seules causes de cet avortement d’une insurrection d’abord victorieuse ; enfin, il n’avait pas « repris à la hâte le chemin de Genève », mais s’était rendu à Marseille avec l’espoir qu’il serait possible de renouveler une tentative de la réussite de laquelle il ne voulait pas encore désespérer[1].

Mais le Volksstaat a su dire mieux encore que Marx. Dans son numéro du 12 octobre 1870, il a imprimé ceci :


Comme caractéristique de l’esclandre machiné à Lyon par Bakounine, nous reproduisons la proclamation suivante [suit le texte de l’affiche rouge du 26 septembre]. On n’aurait pas pu mieux faire au bureau de la presse, à Berlin, pour servir les desseins de Bismarck. Heureusement Bakounine, qui du reste, paraît-il, est en prison, n’a pas pu causer de dommage sérieux, ce qui est une nouvelle preuve du sens politique des ouvriers français. (Jedenfalls hätte die obige Proclamation im Berliner Pressbureau nicht passender für Graf Bismarck gemacht werden können. Dass Bahunin, der übrigens verhaftet sein soll, keinen ernsten Schaden zu thun vermochte, bildet einen neuen Beweis für die politische Bildung der französischen Arbeiter.)

Ces lignes sont, je crois, de la plume de Hepner.


Je mentionne encore, ici, la tentative révolutionnaire qui fut faite à Brest au commencement d’octobre. Les membres de la Section internationale de Brest[2] avaient tenu en septembre des réunions en vue de la formation

  1. Dans un article intitulé Les syndicats et l’action politique (Humanité du 25 septembre 1906), M. Paul Lafargue a réédité tout récemment les plats mensonges de son beau-père presque dans les mêmes termes. Il a écrit : « Bakounine, qui, sans grande réflexion, prit à la lettre l’anarchie de Proudhon, s’imagina qu’on pouvait supprimer l’État bourgeois avec des phrases. Quand il s’empara de l’hôtel de ville de Lyon, en 1871 (sic), il rédigea de sa meilleure plume anarchiste une ordonnance (sic) qui plagiait la pasquinade de Rochefort, et qui décrétait l’abolition de l’État. Mais quatre hommes et un caporal (sic) envoyés par le préfet Andrieux (sic), l’expulsèrent et lui démontrèrent qu’on ne se débarrassé pas de l’État par un Vade retro Satanas. » Pauvres marxistes, ils nous font vraiment la partie trop belle ! ils ne savent pas, ils ne comprendront jamais combien de semblables procédés de polémique soulèvent l’indignation des consciences droites, et détachent d’eux la nouvelle génération.
  2. Six d’entre eux avaient été condamnés à l’emprisonnement le 23 juillet par le tribunal correctionnel, pour affiliation à l’Internationale ; mais ils avaient interjeté appel, et le 17 septembre la Cour de Rennes déclara le jugement annulé par l’amnistie du 6 septembre.