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ouvrier tulliste, conseiller municipal, Bakounine, et quelques autres, voulaient une manifestation en armes ; mais la majorité se prononça pour une manifestation pacifique sans armes. Une commission exécutive de huit membres signa la proclamation suivante, rédigée par Gaspard Blanc, et qui, imprimée pendant la nuit, fut affichée le lendemain 28 de bonne heure :


République française.

Le peuple lyonnais, vu l’immensité du danger et la lenteur apportée par l’autorité à l’organisation de la défense nationale, est convoqué, par l’organe de ses comités populaires réunis, à une manifestation populaire pour aujourd’hui 28 septembre, à midi, sur la place des Terreaux, à l’effet d’obliger l’autorité à prendre immédiatement les mesures les plus énergiques et les plus efficaces pour la défense nationale.

Par délégation des comités réunis,

La Commission exécutive :

C. Tassel, F. Bischoff, Bruyat, A. Schettel, A. Bastelica, Parraton, G. Blanc, G. Torin.


Je n’entreprendrai pas de raconter la journée du 28 septembre ; bien que j’aie recueilli de la bouche de Bakounine et d’Ozerof beaucoup de détails, je ne connais qu’une partie des faits[1]. J’indiquerai seulement l’essentiel.

À midi, plusieurs milliers d’hommes se pressaient sur la place des Terreaux. Une délégation de seize ouvriers des chantiers nationaux entra dans l’hôtel de ville pour demander au Conseil municipal le rétablissement de la paie à trois francs par jour. Mais le Conseil n’était pas en séance. Bientôt, un mouvement se produisit dans la foule ; une centaine d’hommes résolus, Saignes à leur tête, forçant la porte de l’hôtel de ville, pénétrèrent dans l’édifice municipal ; quelques membres du Comité central du Salut de la France, Bakounine, Parraton, Bastelica et autres, y entrèrent avec eux. Du haut du balcon, Saignes annonça que le Conseil municipal allait être mis en demeure d’accepter le programme de l’affiche rouge du 26 septembre, ou de démissionner, et proposa de nommer Cluseret général de l’armée révolutionnaire. Cluseret, acclamé par la foule, parut au balcon, remercia, et annonça qu’il allait se rendre à la Croix-Rousse. Il s’y rendit en effet, mais non pour appeler aux armes les gardes nationaux de ce quartier : son but, a-t-il écrit lui-même plus tard, « était d’éviter une collision, parce qu’on battait le rappel dans les quartiers peu sympathiques au peuple » ; aussi demanda-t-il simplement aux ouvriers de la Croix-Rousse « de descendre en masse et sans armes ». Pendant ce temps, les gardes nationaux des quartiers riches étaient accourus, armés, et avaient pénétré dans la cour intérieure de l’hôtel de ville ; Cluseret, revenant de sa tournée dans les faubourgs, fut arrêté par eux. Le peuple, sur la place, ne sut pas d’abord ce qui se passait à l’intérieur du palais municipal ; mais lorsqu’il l’eut appris, par la voix de Saignes qui l’appelait à l’aide, il poussa des cris de colère et envahit l’hôtel de ville ; une partie des gardes nationaux bourgeois furent désarmés par la foule sans armes[2], le reste mit la crosse en l’air. Le Comité du Salut de la France s’installa alors dans la salle des séances du Conseil municipal et commença à rédiger des arrêtés, qu’on envoyait au fur et à mesure à l’impression. Deux ou trois heures se passèrent ainsi ; en vain Bakounine et quelques autres

  1. Il existe un récit succinct des événements de cette journée dans une lettre de Bakounine à Emilio Bellerio, du 8 octobre 1870, qu’on trouvera plus loin (p. 108).
  2. Il y avait aussi dans cette foule des hommes armés, d’après un passage de la lettre de Bakounine à Bellerio du 8 octobre.