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plaire[1], mais elle vient d’être réimprimée[2] dans un volume qui contient

aussi deux autres écrits de Bakounine de la même époque : je renvoie le lecteur à cette réimpression. Ce volume contient en un Appendice (pages 135-268) la reproduction intégrale du manuscrit de Bakounine duquel a été extrait le texte de la brochure, avec tous les passages remaniés, abrégés ou supprimés en 1870. Parmi les parties de ce manuscrit qui étaient restées inédites, je signale particulièrement à l’attention celle (pages 254-261) où l’auteur démontre aux ouvriers parisiens — qu’un correspondant du Volksstaat représentait comme « indifférents à la guerre actuelle » — qu’ils ne peuvent pas se désintéresser de l’invasion allemande, et qu’il leur faut absolument défendre leur liberté contre « les bandes armées du despotisme prussien » ; j’en reproduis ici le passage principal :


Ah ! si la France était envahie par une armée de prolétaires, Allemands, Anglais, Belges, Espagnols, Italiens, portant haut le drapeau du socialisme révolutionnaire et annonçant au monde l’émancipation finale du travail, j’aurais été le premier à crier aux ouvriers de France : « Ouvrez-leur vos bras, ce sont vos frères, et unissez-vous à eux pour balayer les restes pourrissants du monde bourgeois ! » Mais l’invasion qui déshonore la France aujourd’hui, ce n’est point une invasion démocratique et sociale, c’est une invasion aristocratique, monarchique et militaire. Les cinq ou six cent mille soldats allemands qui égorgent la France à cette heure sont les sujets obéissants, les esclaves d’un despote qui est tout entiché de son droit divin ; et dirigés, commandés, poussés comme des automates, par des officiers et des généraux sortis de la noblesse la plus insolente du monde, ils sont — demandez-le à vos frères les ouvriers de l’Allemagne — les ennemis les plus féroces du prolétariat. En les recevant pacifiquement, en restant indifférents et passifs devant cette invasion du despotisme, de l’aristocratie et du militarisme allemand sur le sol de la France, les ouvriers français ne trahiraient pas seulement leur propre dignité, leur propre liberté, leur propre prospérité, avec toutes les espérances d’un meilleur avenir, ils trahiraient encore la cause du prolétariat du monde entier, la cause sacrée du socialisme révolutionnaire.


L’impression des Lettres à un Français fut achevée vers le 20 septembre, et j’envoyai aussitôt la brochure en un ballot à Genève, à l’adresse de notre ami Lindegger.

Le samedi 24 septembre, dans une grande réunion publique tenue à la Rotonde, et présidée par Eugène Saignes, — un ouvrier plâtrier-peintre, homme énergique, vrai tribun populaire, très influent parmi les ouvriers lyonnais, — furent votées diverses résolutions relatives à la destitution de tous les officiers et à leur remplacement par des chefs élus ; à la remise des forts à la garde nationale ; à un impôt forcé sur les riches. La journée du lendemain dimanche fut employée à la rédaction et à l’impression d’une grande affiche rouge, contenant le programme de la révolution que le Comité central du Salut de la France proposait au peuple d’accomplir ; il fut décidé que l’affiche serait signée par tous les membres du Comité, et Bakounine, quoique étranger, crut de son devoir de mettre son nom à côté de celui de ses amis. Le mouvement était fixé au lendemain lundi 25, et des arrestations devaient être faites par les révolutionnaires dans la nuit du dimanche au lundi : c’est du moins ce qu’indique une lettre (en russe)

  1. Elle existe à la Bibliothèque nationale de Paris, sous la cote Lb57, in-8o.
  2. Paris, Stock, 1907.