rents qui périssent à vue d’œil... ; Bazaine battu, les Prussiens marcheront sur Paris, et si le peuple français ne se soulève pas tout entier, ils prendront Paris. Telle est la vérité vraie, je te le jure sur ce que j’ai de plus sacré ; je te le dis le cœur en proie au plus profond désespoir, plein de honte, de fureur, mais c’est la pure et entière vérité, et si l’on vous dit le contraire, si l’on tâche seulement de vous consoler, si on vous promet qu’avec les mesures qu’on a prises nouvellement à Paris on sauvera Paris et la France, on vous ment, on vous trompe de la manière la plus indigne. Paris et la France ne peuvent être sauvés que par un immense soulèvement populaire. Il faut que partout le peuple prenne les armes et s’organise de lui-même, pour commencer contre les envahisseurs allemands une guerre de destruction, une guerre au couteau. Il ne faut pas qu’il se laisse imposer des chefs, il faut qu’il les choisisse lui-même. Vous êtes entourés de traîtres, la Prusse est dans le gouvernement et dans l’administration. Vous êtes vendus sur tous les points. Rappelez vous les paroles de Danton dans une époque et au milieu d’un danger qui assurément n’étaient pas plus terribles que l’époque et le danger actuels : « Avant de marcher contre l’ennemi, il faut le détruire, le paralyser derrière soi ». Il faut mettre à bas les Prussiens de l’intérieur pour pouvoir marcher ensuite avec confiance et sécurité contre les Prussiens de l’extérieur. Le mouvement patriotique de 1792 n’est rien en comparaison de celui que vous devez faire maintenant, si vous voulez sauver la France d’un esclavage de cinquante ans, de la misère et de la ruine, de l’invasion et de l’anéantissement. Donc levez-vous, amis, au chant de la Marseillaise, qui redevient aujourd’hui le chant légitime de la France, tout palpitant d’actualité, le chant de la liberté, le chant du peuple, le chant de l’humanité, — car la cause de la France est redevenue enfin celle de l’humanité[1]. En faisant du patriotisme nous sauverons la liberté universelle,— pourvu que le soulèvement du peuple soit universel et sincère et qu’il soit conduit non par des traîtres, vendus ou voulant se vendre soit aux Prussiens, soit aux Orléans qui viennent avec eux, mais par des chefs populaires.
À cette seule condition la France sera sauvée. Ne perdez donc pas une minute, n’attendez plus le signal de Paris, — Paris est trompé, paralysé par le danger qui le menace, et surtout mal dirigé, — soulevez-vous de vous-mêmes, prenez les armes, organisez-vous, anéantissez les Prussiens de l’intérieur, pour qu’il n’en reste plus un seul derrière vous, et courez à la défense de Paris.
Si dans dix jours il n’y a pas en Finance de soulèvement populaire, la France est perdue. Oh ! si j’étais jeune, je n’écrirais pas de lettres, je serais parmi vous[2].
- ↑ À comparer avec ce passage d’une lettre de Lassalle à Marx écrite pendant la guerre d’Italie, à un moment où on se demandait si la Prusse se joindrait à l’Autriche contre la France et le Piémont (juin 1859) : Siegten wir gar [Preussen gegcn Frankreich], ware die Sache noch schlimmer. Eine Besiegung Frankreich’s ware auf lange Zeit das contre-revolutionare Ereigniss par excellence. Noch immer stech es so, dass Frankreich, trotz allen Napoleons, Europa gegenüber die Revolution. Frankreich’s Besiegung ihre Besiegung darstellt. ( « Si nous étions victorieux [c’est-à-dire si la France était battue par la Prusse], la chose serait pire encore. Une défaite de la France serait, pour un long espace de temps, l’événement contre-révolutionnaire par excellence. Il est incontestable que, malgré tous les Napoléons, la France, en face de l’Europe, représente la Révolution, et que la défaite de la France serait la défaite de la Révolution. »)
- ↑ D’après une copie faite par Nettlau.