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en tirades chauvines, à répondre par des rodomontades aux conseils du clairvoyant révolutionnaire ; il répétait que les Prussiens ne pourraient venir à bout des héroïques armées françaises, et que « notre glorieux Bazaine » (style Gambetta) allait repousser l’invasion. Il n’était pas seul à parler ainsi ; la plupart des Français, malheureusement, tenaient à ce moment le même langage. Un ami (Éd. Rouiller) m’écrivait de Paris, vers le 24 août :


Un habitant de la lune descendu subitement sur nos boulevards serait à cent lieues de se douter de la situation où se trouve notre triste pays. Paris fume, boit, plaisante exactement comme si les Prussiens n’étaient pas à trente lieues de nous. Un peu plus d’empressement à lire les journaux du soir, et voilà tout. Nous ressemblons du reste en ce moment à un homme qui aurait une taie sur les yeux et qui refuserait obstinément de se faire soigner dans la crainte d’y voir trop clair. Nos bons Français, toujours malins, en sont arrivés à gober cette affreuse blague : « C’est pour mieux écraser les Prussiens que nous les attirons sous Paris ; du reste Bazaine se concentre, et, s’il n’a pas fait sa jonction avec Mac-Mahon, n’allez pas croire que ce soit parce que les Prussiens l’en ont empêché : ruse de guerre que cela ; on va les prendre entre deux feux et on les fusillera jusqu’au dernier ; il n’en restera pas un pour annoncer à ses frères leur défaite ! » En attendant, Bazaine est si bien concentré dans Metz qu’il y est à peu près bloqué et que nous n’en avons plus de nouvelles. Mais n’ayez crainte, disent les Parisiens, ce silence même est une ruse de ce diable d’homme. (Solidarité du 27 août.)


Dans le même numéro de la Solidarité où j’avais reproduit cette correspondance, j’écrivais :


Nous approchons d’une solution, bonne ou mauvaise. Nous allons voir ce qu’il reste d’énergie aux Français après vingt ans d’empire ; s’ils sont tombés, comme quelques-uns le prétendent, aussi bas que leur gouvernement ; ou bien si le peuple ouvrier saura vouloir s’affranchir une fois pour toutes.

Paris ne bougera pas. Eh ! faut-il donc que toutes les révolutions commencent à Paris ! Lyon n’est-il plus la ville de 1831 et 1834 ? Les paysans du Var ne sont-ils plus les héroïques lutteurs de 1851 ? Tous ces grévistes qu’on a fusillés à Saint-Étienne, au Creusot, à Fourchambault, à Roubaix, ne sentent-ils plus saigner leurs blessures ?


En même temps, je constatais, d’après les récits des journaux, que dans certaines provinces les paysans commençaient à se soulever non pas contre les Prussiens, non pas contre le gouvernement, mais... contre les propriétaires : « Y aurait-il vraiment un commencement de jacquerie dans les campagnes françaises ? »

Voici en quels termes d’une éloquence enflammée Bakounine, le 23 août, écrivait de Locarno à Richard, pour prêcher le soulèvement populaire :


Mon cher, tu es, vous êtes tous à Lyon dans une erreur déplorable par rapport aux affaires du marchand de soie[1]. On vous trompe d’une manière indigne. Les affaires de ce marchand sont plus prospères que jamais, et c’est au contraire celles de ses concur-

  1. Bismarck, ou le roi de Prusse.