Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



Les manifestations faites par les ouvriers d’Allemagne ne répondaient pas entièrement à ce que nous aurions désiré, et nous en fîmes l’observation :


Les ouvriers allemands nous paraissent en général moins guéris du fanatisme national que ne le sont les ouvriers français. À l’occasion de la guerre, les ouvriers allemands ont témoigné partout leurs sympathies au peuple français ; mais dans plusieurs des assemblées populaires tenues dans ce but, on a ajouté que, l’Allemagne étant injustement attaquée par Bonaparte, les Allemands de tous les partis devaient s’unir pour défendre la patrie contre l’ennemi commun. La Tagwacht remarque très bien à ce sujet (à l’occasion d’une résolution semblable votée par une assemblée ouvrière à Brunswick) que le gouvernement prussien est tout aussi coupable dans cette affaire que le gouvernement français, et que les ouvriers allemands qui se laissent entraîner par un enthousiasme patriotique font vraiment trop beau jeu à Bismarck et à la réaction. (Solidarité du 30 juillet.)

Les différents manifestes, proclamations, adresses, etc., des ouvriers allemands que nous apporte cette semaine le Volksstaat ont un caractère plus international et plus révolutionnaire que ceux de la semaine passée. Nous remarquons cependant à regret, dans une proclamation du Comité central du parti ouvrier de la démocratie sociale, datée de Brunswick-Wolfenbüttel, 24 juillet 1870, des expressions qui nous paraissent bien peu socialistes. Le Comité parle beaucoup des « légitimes aspirations du peuple allemand vers l’unité nationale », de la « défense du sol allemand contre l’envahisseur », de la « constitution du grand État allemand » ; et la proclamation se termine par ces mots : « Vive l’Allemagne ! Vive la lutte internationale du prolétariat ! » — c’est-à-dire que le sentiment patriotique prend le pas sur les principes socialistes, que l’Allemagne passe avant l’Internationale. Cela n’est pas bien, frères allemands[1]. (Solidarité du 6 août.)

Un socialiste pose dans le Volksstaat la question suivante :

« Qu’arriverait-il si tous les ouvriers de France et d’Allemagne cessaient le travail d’un commun accord à un jour donné, et opposaient ainsi à la guerre une grève internationale ? Je suis persuadé que dans ce cas la guerre serait terminée en quelques jours, sans même que le sang ait coulé. Car de même que la guerre rend impossible le travail rémunérateur, de même la cessation du travail rendrait la guerre impossible[2] » (Solidarité du 6 août.)


Les premiers succès des armées allemandes (Wissembourg, 4 août ; Wœrth-Reichshoffen, Forbach, 6 août ; entrée des Allemands à Nancy,

  1. Les membres de l’Arbeiterbildunngsverein de Nuremberg protestèrent contre les dernières mots de la proclamation du Comité central, et écrivirent au Volksstaat : « Ces mots renferment : 1° une contradiction, parce qu’on y exprime en même temps un sentiment national et un sentiment international ; 2° un non-sens, parce qu’on ne peut pas souhaiter à une lutte de vivre. » (Solidarité du 27 août)
  2. Le Congrès de l’Internationale à Bruxelles, en 1868, avait recommandé aux travailleurs « de cesser tout travail dans le cas où une guerre viendrait à éclater dans leurs pays respectifs » (voir t. Ier, p. 69). À la question posée dans le Volksstaat par un isolé, nulle réponse ne fut faite. On ne pouvait pas attendre une initiative de la part des Allemands. Nous comprîmes qu’elle devait partir des Français, et que le moyen à employer contre la guerre, ce n’était pas la cessation du travail, mais la révolution.