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à nous ; c’est désolant de voir ce Genève si compact. » Tu me dis que les charpentiers et les cordonniers nous donneront des abonnés et peut-être viendront à nous. Bien : mais dans combien de temps ? Dis-moi d’une façon un peu précise à quelle époque aura lieu quelque chose. Faites quelque chose que nous puissions annoncer, dont nous puissions parler ; ne vous contentez pas de propagande silencieuse et souterraine. Par exemple, tâchez d’obtenir une chose très simple : que Deshusses et Ozerof envoient les annonces de leurs Sections[1] à la fois à l’Égalité et à la Solidarité. Cela se peut du moins pour les charpentiers, puisqu’ils ont décidé de rester indifférents entre les deux fédérations[2].


Un passage d’une lettre écrite (en russe) de Locarno par Bakounine à Mroczkowski[3] le 31 mai nous donne son appréciation sur l’attitude de Joukovsky et de Perron. Il recommande à Mroczkowski de ne pas communiquer à Joukovski ce qu’il lui raconte des affaires russes, à cause de leur divergence d’opinion au sujet de Netchaïef[4] ; mais il ajoute qu’il est très étroitement lié avec Jouk pour ce qui concerne les affaires de l’Internationale et de la Section de l’Alliance, dont Joukovsky s’occupe avec beaucoup de dévouement et d’empressement, « comme un enfonceur zélé de portes ouvertes[5] » ; c’est un honnête homme et il rend des services. Perron, un autre ami très sincère, « s’est retiré pour un temps de toute activité publique, mais j’espère que ce n’est pas une retraite définitive[6] ». (Nettlau, Supplément inédit.)

Le néant des résultats obtenus à Genève par la propagande théorique des membres de la Section de l’Alliance était, pour nous, la preuve que nous avions vu juste en nous refusant à procéder aux Montagnes comme Bakounine et ses amis l’avaient fait à Genève. La Section de l’Alliance avait insisté pour être admise dans la Fédération romande ; il avait été fait droit à sa demande : et qu’en était-il résulté ? Depuis qu’officiellement elle faisait partie intégrante de la Fédération, elle était isolée à Genève plus que jamais ; ses réunions de quinzaine n’étaient plus fréquentées que par une poignée de dévoués ; Joukovsky, secrétaire de la Section depuis le mois de mars, se donnait beaucoup de mouvement, mais il s’agitait dans le vide[7].


Cependant, à la grève des tuiliers, à Genève, était venue s’ajouter celle des plâtriers-peintres, qui produisit une grande agitation dans la population tout entière. Les ouvriers plâtriers-peintres, qui réclamaient depuis deux ans un nouveau tarif, s’étaient décidés à quitter le travail ; les patrons, alarmés, tirent poser des affiches qui invitaient le gouvernement à « réprimer les menées de l’Internationale » et à expulser les ouvriers étrangers à la Suisse ; à cette démarche patronale, il fut répondu par la

  1. Deshusses était charpentier, Ozerof cordonnier.
  2. Lettre reproduite par Nettlau, note 2026, d'après l'original retrouvé dans les papiers de Joukovsky.
  3. Mroczkowski s'était retiré à Londres avec la princesse Obolensky.
  4. Joukovsky ne prenait pas Netchaïef au sérieux, et m'avait vivement reproché d'avoir publié dans le Progrès l'article traduit du no 2 des Publications de la Société la Justice du Peuple : il disait que cet article ne pouvait être qu'un roman.
  5. Cette raillerie est en français dans le texte.
  6. Perron se maria peu de temps après, en juillet, et dans une autre lettre à Mroczkowski (1er août), Bakounine écrivait : « Perron s'est marié et s'est détaché entièrement des militants ». (Correspondance de Bakounine, éd. française, p. 332.
  7. Il faut noter toutefois que, pendant la grève des plâtriers-peintres et le grand lock-out de l'industrie du bâtiment à Genève, dont il va être question, Joukovsky devint un collaborateur actif de la Solidarité : notre organe publia de lui deux excellents articles en forme de dialogues, sur les ateliers coopératifs, les caisses de résistance, et sur l'instruction intégrale (no 10 et 19) et plusieurs correspondances sur la grève (no 10, 12, 14).