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enthousiaste aux propagandistes ; parmi ceux qui parlèrent se trouvait un ouvrier allemand, Kaiser, d’Erfurt, qui venait de se réfugier en Suisse pour échapper aux persécutions de la police bismarckienne, et qui, reconnaissant en nous les vrais propugnateurs de l’émancipation ouvrière, était entré dans nos rangs ; le meeting déclara à l’unanimité adopter les principes de l’Internationale, et une nouvelle Section lut fondée séance tenante. La même semaine, une Section était créée à Saint-Blaise, près Neuchâtel, et dès le samedi 11 juin elle organisait un meeting. Le 12 juin, les socialistes de Cortébert se rendaient à Tramelan, dans une haute vallée isolée du Jura bernois, et y fondaient une Section. Le 19 juin, un meeting organisé par les socialistes des Ponts avait lieu à Rochefort (canton de Neuchâtel). La Section de propagande de la Chaux-de-Fonds prenait une part active à ce travail de diffusion des idées socialistes ; elle avait décidé « d’organiser chaque dimanche, ou tout au moins tous les quinze jours, dans les différents villages, des assemblées où l’organisation des sociétés ouvrières serait traitée et la solidarité acclamée ». Mais le mauvais vouloir des coullerystes à son égard ne désarmait pas ; et un petit fait permettra de juger de la mesquinerie de leurs procédés. Ils avaient réussi, comme on l’a vu, à faire adhérer, en avril, au Congrès de la minorité, la Société des charpentiers et menuisiers de la Chaux-de-Fonds. En mai, cette Société demanda une augmentation de salaires, et, sur le refus des patrons, déclara la grève ; mais son comité, voulant bien marquer qu’il n’avait rien de commun avec les « collectivistes », n’envoya aucune communication à la Solidarité, et réserva exclusivement ses confidences à l’Égalité ; celle-ci, le 21 mai, annonça la grève à ses lecteurs, en ajoutant : « Nous rappelons à nos camarades que les charpentiers et menuisiers de la Chaux-de-Fonds se sont constitués en Section internationale lors du Congrès de la Chaux-de-Fonds, et que cette Section appartient à notre Fédération romande » ; c’était dire aux adhérents du Temple-Unique qu’ils pouvaient en toute sûreté de conscience appuyer les grévistes, puisque ceux-ci ne professaient pas les opinions hétérodoxes d’autres sociétés ouvrières du Jura. La Solidarité du 28 mai, à son tour, publia ces lignes : « Les charpentiers de la Chaux-de-Fonds sont en grève. Nous n’avons pas reçu de détails au sujet de cette grève, dont nous apprenons la nouvelle par l’Égalité. Il faudrait cependant, devant l’ennemi commun et lorsqu’il s’agit de questions pareilles, faire taire les petites rancunes et s’adresser franchement à tous ses frères internationaux : nous serons toujours prêts à soutenir des grévistes, sans distinction de fédération. »

Une lettre écrite par moi à Joukovsky, le 4 juin, montrera ce que nous pensions de la situation, et comment nous jugions l’attitude du groupe de nos amis de Genève, qui nous avaient promis leur concours actif et qui cependant ne bougeaient pas :

À l’égard du Conseil général, j’ai écrit à Jung l’autre jour[1] pour lui demander pourquoi la Solidarité ne reçoit pas de communications de lui. J’attends sa réponse. Je crois qu’il ne correspond pas non plus avec Genève, et que l’Égalité prend les communications du Conseil général dans d’autres journaux. Voilà ce qu’il faudrait tâcher de savoir ; je te prie de t’en informer. Du reste, je ne recule pas le moins du monde devant une lutte contre le Conseil général, s’il contestait notre droit : nous serions appuyés par les Français, les Espagnols et les Belges… On se plaint fort de l’inaction de nos amis de Genève : « Que font donc Joukovsky, Perron, Brosset ? nous demande-t-on de toutes parts. Pas un signe de vie ; plus un mot de l’Alliance (tant mieux ![2]) ; pas une Section qui vienne

  1. Le 30 mai, comme on le verra plus loin (p. 46).
  2. On voit combien j’étais peu enthousiaste de la Section de l’Alliance.