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Ils essaieront des réformes ? Mais leurs collègues s’y opposeront. — Voilà que nous sommes encore obligés d’admettre que les socialistes seront en majorité au Conseil d’État. Soit. Mais ce Conseil d’État socialiste, que pourrait-il faire en face d’un Grand-Conseil bourgeois ? Il faut donc admettre que la majorité du Grand-Conseil sera composée d’ouvriers. Mais dans ce cas, ouvriers genevois, si vous êtes assez forts, assez nombreux, assez unis, pour vous emparer du Conseil d’État et du Grand-Conseil, à quoi bon conserver ces formes gouvernementales établies par la bourgeoisie ? Supprimez ce gouvernement qui n’a plus de raison d’être dans une société égalitaire, et faites la révolution.

C’est ici que nous attendent nos contradicteurs. Nous voulons éviter la révolution si c’est possible, disent-ils ; nous voulons, au moyen des réformes constitutionnelles, arriver peu à peu, et sans secousses violentes, à abolir tous les privilèges et à établir l’égalité.

Ce projet est très beau, sans doute, mais c’est une utopie qu’on est étonné d’entendre énoncer à des hommes qui devraient avoir réfléchi. Quoi ! vous pensez pouvoir échapper à la révolution ? vous n’avez donc aucune idée claire de ce qui doit se passer pour que le travail soit affranchi ?

Nous vous supposons au pouvoir, socialistes non-révolutionnaires. L’un de vous est chef du département militaire. Que doit-il faire ? — conserver l’ordre de choses existant, en le réformant dans quelques détails ? non, c’est le programme du libéralisme bourgeois. Un socialiste doit abolir entièrement l’armée : et voilà la Révolution.

Un de vous est chef du département de justice et police. Que doit-il faire ? — replâtrer un peu les vieilleries juridiques, changer le personnel des tribunaux, épurer la police ? non, c’est le programme du libéralisme bourgeois. Un socialiste doit abolir tout ce qu’on a appelé justice jusqu’à présent : et voilà la Révolution.

Un de vous est directeur des cultes. Que doit-il faire ? — régler sagement les rapports de l’État et des corporations religieuses, défendre la société contre les empiétements du clergé, chercher à constituer l’Église libre dans l’État libre ? non, c’est le programme du libéralisme bourgeois. Un socialiste doit dire : Il n’y a plus de directeur des cultes, il n’y a plus de cultes publics, il n’y a que la liberté : et voilà la Révolution.

Un de vous est directeur des finances. Que doit-il faire ? — alléger le budget, diminuer les impôts, éteindre la dette publique ? — non, c’est le programme du libéralisme bourgeois. Un socialiste doit supprimer le budget, abolir les impôts existants, et laisser la société nouvelle organiser les services publics comme elle l’entendra : et voilà la Révolution.

La logique est de notre côté, à nous qui savons clairement ce que nous voulons, et qui le disons avec franchise. Et c’est pour cela que tôt ou tard ceux des ouvriers qui sont encore restés en arrière, et qui se laissent bercer par les paroles trompeuses des endormeurs, marcheront avec nous, dès qu’ils auront ouvert les yeux à la vérité.

Le moment n’est pas éloigné où, à Genève et partout, le peuple fera ce raisonnement :