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majorité des délégués du Congrès [de la Chaux-de-Fonds], qui ont exprimé dans leurs résolutions la véritable marche que doit suivre l’Association internationale des travailleurs si elle veut arriver à la complète émancipation de tous les prolétaires, au collectivisme, sans accepter d’alliance avec aucun parti politique de la classe moyenne ; et qui ont constaté une fois de plus que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». — La Section de Madrid, qui comptait plus de deux mille membres, nous envoya de son côté une lettre où on lisait : « Il y a cinquante années que les ouvriers espagnols prêtent leur concours aux révolutionnaires politiques. Qu’y ont-ils gagné ? Pouvoir envoyer aux Cortès un ouvrier [Pablo Alsina], qui s’y trouve complètement isolé, et tout à fait annihilé par ceux mêmes des députés qui se disent partisans de l’émancipation de la classe ouvrière. Si du moins la liberté politique était une vérité ! Mais la liberté politique sans l’égalité sociale n’est qu’un mensonge. »

En Belgique, un Congrès ouvrier flamand, comprenant des représentants d’associations hollandaises (Amsterdam, Arnheim, la Haye, etc.) et d’association belges (Bruxelles, Gand, Anvers, etc.), s’était réuni à Anvers les 17 et 18 avril ; il avait à son ordre du jour précisément les mêmes questions que le Congrès de la Chaux-de-Fonds, et sur ces questions il avait voté des résolutions identiques aux nôtres. Il avait recommandé la création et la fédération des caisses de résistance, « seule arme vraiment efficace que les ouvriers possèdent actuellement pour lutter contre l’arbitraire des maîtres ». Il avait déclaré que « la coopération, tant de production que de consommation, n’amènera pas la régénération sociale », tout en reconnaissant « qu’elle est une étape vers un ordre social nouveau ». Il s’était prononcé en faveur de la Représentation du travail, — c’est-à dire de la constitution d’un organisme qui serait créé par les sociétés ouvrières en dehors et en face du Parlement, pour la défense des intérêts de la classe des travailleurs, — et avait condamné la politique préconisée par les politiciens progressistes. « Nous aussi, écrivait l’Internationale de Bruxelles en rendant compte de la discussion, nous avons demandé longtemps le suffrage universel ; nous avions alors l’illusion de croire que, grâce à lui, nous parviendrions à modifier l’état politique et par suite l’état économique de la société. Nous sommes revenus de cette erreur, et nous savons aujourd’hui que c’était la situation économique, dont profitent les habiles et les intrigants, qu’il nous faut modifier… Pour les travailleurs, chercher à entrer dans les Chambres, c’est abandonner, qu’ils le veuillent ou non, toute idée d’émancipation véritable… De même que la philosophie et la science, pour combattre et ruiner l’idée religieuse, ne sont pas entrées dans l’Église, de même le socialisme, pour abattre notre édifice politique et économique, doit lui porter ses coups du dehors sans s’y installer lui-même… Organiser la Représentation du travail en dehors du gouvernement, c’est ruiner définitivement tout formalisme politique et lancer la démocratie dans la voie des réformes sociales. »


Le développement du socialisme international en France était devenu pour Napoléon III un grave sujet d’inquiétude. Conseillé par Émile Ollivier, l’empereur avait pensé qu’il pourrait se rallier la portion de la bourgeoisie qui réclamait quelques libertés, en inaugurant l’Empire « libéral » ; il annonça ensuite (21 mars) que la France serait appelée à sanctionner par un plébiscite la nouvelle orientation donnée à la politique bonapartiste. Le sénatus-consulte du 20 avril fixa au 8 mai la date du plébiscite. Les républicains et les socialistes ne furent pas dupes de la manœuvre, et les attaques contre le régime impérial n’en devinrent que plus violentes. L’acquittement de Pierre Bonaparte (le 7 mars), prononcé par la Haute-Cour de Tours après un scandaleux procès, avait été une occasion excellente d’agitation.

De toutes parts l’Internationale française complétait son organisation en faisant de nouvelles recrues. Les statuts fédéraux élaborés pour Paris avaient été adoptés le 18 avril dans une grande réunion où fut constituée