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pas d’imposer ces théories aux travailleurs, et la preuve c’est que beaucoup de membres se sont retirés de l’Association[1]. »

Duval, qui faisait toujours partie de la Section de l’Alliance, prit la parole pour expliquer son attitude :

« Duval… En général, je pense que l’Alliance a quelque raison d’être, je ne suis pas contre les principes que l’Alliance professe ; je ferai toujours volontiers partie de toute société qui veut travailler pour la révolution… [Mais] j’ai reconnu bientôt que son admission sèmerait la discorde et la division dans les Sections genevoises, et… [au Comité fédéral] j’ai émis le vote contre son admission. Et je crois toujours que ses membres, s’ils le voulaient, pourraient travailler utilement à la propagande ; mais ils n’ont rien à faire dans la Fédération romande, et leur devoir serait de ne pas demander leur admission[2]. »


Après ces citations, je veux encore noter deux jugements sur les meneurs de la coterie genevoise et sur leur attitude au Congrès de la Chaux-de-Fonds, portés, l’un, par leur compère et ami J.-Ph. Becker, l’autre par le Volksstaat.

Dans son journal le Vorbote, en mai 1870, Becker, racontant la scission qui s’était produite au Congrès, blâma la Section de l’Alliance d’avoir insisté pour son admission dans la Fédération romande ; mais en même temps il apprécia ainsi l’acte des scissionnaires : « Quoique l’admission de l’Alliance soit plutôt nuisible qu’avantageuse, elle n’offrait pourtant aucun danger à la Fédération, et c’était de la puérilité et de l’étroitesse soit de

  1. Égalité du 30 avril 1870, pages 4 et 5. — Présentées de la sorte, les critiques de Dupleix et de Weyermann ont l’air de porter simplement sur le fait de l’inopportunité d’une propagande anti-religieuse indiscrète. En réalité, ces deux délégués reprochèrent à l’Alliance de professer une doctrine philosophique immorale et condamnable. Voici ce que dit notre procès-verbal : « Weyermann, de Genève, reproche à l’Alliance de professer l’athéisme et de vouloir l’abolition de la famille. Dupleix, de Genève, appuie Weyermann : les membres de l’Alliance sont des hommes qui ne croient ni à Dieu ni à la morale. » (Solidarité du 11 avril 1870, p. 4.) — Sur l’inutilité d’une prédication philosophique — dont le compte-rendu tendancieux d’Outine voudrait faire supposer Bakounine entiché — au sein d’une masse ouvrière ignorante, et sur la nécessité d’amener avant tout les exploités à la conscience de la nécessité de la lutte économique, Bakounine avait écrit, dans l’Égalité même, les fortes pages intitulées « Politique de l’Internationale » (reproduites dans le Mémoire de la Fédération jurassienne, Pièces justificatives, pages 95 et suivantes ; — Dans l’Égalité du 23 avril 1870 (p. 2), Outine, revenant sur cette discussion, a raillé les athées en les traitant de gibier de guillotine : « Et si nous faisions observer, écrit-il, que l’athéisme du 18e siècle fut bien plus grand et plus sérieux que celui de l’Alliance, et que pourtant il n’a pas su amener la délivrance du peuple ; que le baron millionnaire, Anacharsis Cloots, fut un grand athée, ce qui n’empêcha pas de le guillotiner comme traître à la République ; et que Hébert, marchand de journaux, fut aussi de votre Alliance ; il était grand athée et publiait aussi un journal qui s’appelait Père Duchesne, et qui calomniait aussi bel et bien tout ce qui ne lui plaisait pas, et tout cela ne l’empêcha pas d’aller embrasser la tête de Cloots dans le paneau (sic) de sang ». Le Mémoire de la Fédération jurassienne (p. 142) a relevé en ces termes cette inepte élucubration : « On le voit, M. Outine, se faisant robespierriste pour les besoins de sa cause, enveloppe dans la même condamnation Bakounine et le Père Duchesne, accusé d’être aussi de l’Alliance, en y joignant une insulte gratuite à la mémoire du pauvre Cloots, le plus honnête et le plus naïf des révolutionnaires. Qui se serait attendu à voir un journal soi-disant socialiste glorifier Robespierre d’avoir fait guillotiner la première Commune de Paris ! »
  2. Égalité du 30 avril 1870, p. 5. — Si Duval faisait encore partie de la Section de l’Alliance, sa conduite et celle de Becker montrèrent qu’ils n’étaient, l’un et l’autre, restés membres de cette Section que pour mieux travailler à sa destruction. Le 16 avril, dans la première assemblée générale de la Section de l’Alliance qui suivit le Congrès de la Chaux-de-Fonds. Duval essaya, avec quelques affidés, d’obtenir que la Section déclarât, dans l’intérêt de la concorde, renoncer à faire partie de la Fédération romande ; mais la proposition n’obtint que cinq voix. Le cahier contenant une partie des procès-verbaux manuscrits de la Section de l’Alliance, du 2 avril au 1er octobre 1870, est actuellement en ma possession.)