être véritablement régénéré ; on ne songeait qu'à atténuer des maux que l'on attribuait aux faiblesses du cœur humain ; et l'idée de s'attaquer à la source même du mal, aux institutions sociales, à la propriété individuelle, ne nous était pas encore venue.
Les années marchèrent, et l'expérience nous instruisit. Les socialistes neuchâtelois n'avaient pas encore compris le néant de ce que notre bourgeoisie appelle la politique et que nous appelons aujourd'hui la plus dangereuse variété de l'exploitation. Ils crurent qu'en envoyant des représentants au Grand-Conseil, ils arriveraient à opérer légalement et sans secousses les réformes sociales.
Les uns, pour qui le socialisme était encore une nuance du radicalisme, un rejeton plus jeune, plus progressif, cherchèrent à infuser le levain socialiste dans la vieille pâte radicale : ils furent les dupes de leur bonne foi, et l'expérience leur apprit qu'il n'y avait rien à faire sur le terrain constitutionnel. Sur l'heure, ils renoncèrent complètement à lutter comme parti politique, et consacrèrent exclusivement leur activité à l'organisation de l'Internationale, c'est-à-dire de la révolution.
Les autres — et ceux-là furent principalement ceux de la Chaux-de-Fonds — avaient compris l'impuissance du radicalisme : mais ils crurent qu'en battant le radicalisme aux élections, qu'en modifiant la majorité du Grand-Conseil, ils serviraient la cause du socialisme ; et, dans ce but, ils eurent le tort de s'allier au parti réactionnaire. Qu'en arriva-t-il ? ils furent dupes de leur côté. Une partie d'entr'eux, reconnaissant la faute commise, se hâtèrent de la réparer, en donnant la main aux révolutionnaires et en renonçant à la politique cantonale ; le reste continua à faire fausse route. Un organe électoral, la Montagne, créé à l'origine par des socialistes, tomba entre les mains de la réaction ; ceux des internationaux de la Chaux-de-Fonds qui s'appelaient eux-mêmes les Coullerystes se mirent à la remorque de la Montagne, et se déclarèrent en opposition ouverte avec les principes du Congrès de Bruxelles. On se souvient encore de la verte semonce qu'ils reçurent du Conseil général belge[1], pour la manière déloyale dont ils avaient falsifié dans la Voix de l'Avenir le compte-rendu des délibérations de Bruxelles.
C'est cette situation de la Chaux-de-Fonds, partagée entre deux partis, les Internationaux révolutionnaires et les Coullerystes ou partisans de la Montagne, que nous appelons la crise.
Le Progrès fut fondé pour servir d'organe au parti révolutionnaire. Pendant quelque temps encore, le nouveau journal chercha sa voie ; mais le 1er mars 1869, dans un article dont on se souvient, il arbora hardiment le drapeau du collectivisme et de la révolution. On se souvient aussi des injures dont l'accablèrent la Montagne et le Journal de Genève ; — la Montagne qui, découvrant enfin ses véritables tendances, fut successivement désavouée par l’Égalité, par la Liberté de Genève, par tous les organes socialistes qui connaissaient son existence.
Le meeting du Crêt-du-Locle, tenu en mai 1869 par les Sections
- ↑ Il y a ici une erreur de rédaction. En octobre 1868, il n'existait pas encore de « Conseil général belge » : la Section bruxelloise remplissait les fonctions de « Section centrale pour la Belgique » (voir p. 84). Le Conseil général belge fut créé en décembre 1868.