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Bakounine à Lausanne[1], il aura été démontré ainsi au monde que ce n'est pas Bakounine qui est allé à l'Internationale, mais que c'est l'Internationale qui est venue à Bakounine. Conséquence toute simple : le Conseil général de Londres (dont l'opposition à cette exhumation de la vieillerie saint-simoniste[2] était connue de Bakounine) doit céder la place, et le Congrès de Bâle transférera le Conseil général à Genève[3], c'est-à-dire que l'Internationale tombera sous la dictature de Bakounine.

Bakounine machina une véritable conspiration pour s'assurer la majorité au Congrès de Bâle. Il y eut même de faux mandats, comme celui de Guillaume pour le Locle[4]. Bakounine lui-même mendia des mandats à Naples et à Lyon. Des calomnies de tout genre furent répandues contre le Conseil général[5]. Aux uns on disait que l’élément bourgeois y dominait ; aux autres, qu'il était le foyer du communisme autoritaire. Le résultat du Congrès de Bâle est connu. Les propositions de Bakounine ne furent pas adoptées[6], et le Conseil général resta à Londres[7].

Le dépit que lui causa l'échec de ce plan — à la réussite duquel Bakounine avait rattaché peut-être toutes sortes de spéculations privées — se donna carrière par des articles irrités de l’Égalité et du Progrès[8]. Ces journaux prirent en même temps de plus en plus des allures d'oracles officiels. Tantôt l'une, tantôt l'autre des Sections suisses de l'Internationale était mise au ban parce que, contrairement aux prescriptions expresses de Bakounine, elles avaient participé au mouvement politique, etc. Enfin la fureur longtemps contenue contre le Conseil général éclata ouvertement. Le Progrès et l’Égalité se moquaient, attaquaient, déclaraient que le Conseil général ne remplissait pas ses devoirs, par exemple au sujet du bulletin trimes-

  1. Lire : « à Berne ».
  2. En français dans le texte. Cette « vieillerie saint-simonienne » que Marx traite ici de façon si dédaigneuse figure en toutes lettres dans le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels. Voici ce qu'on y lit, aux pp. 52 et 53 : « La première démarche de la révolution ouvrière sera de constituer le prolétariat en classe régnante... Des mesures devront être prises qui, sans doute, paraîtront insuffisantes et auxquelles on ne pourra pas s'en tenir, mais qui... seront indispensables à titre de moyen pour révolutionner tout le régime de production... : 1° Expropriation de la propriété foncière... ; 2° Impôt fortement progressif ; 3° Abolition de l'héritage ; 4° ... » (Traduction de Ch. Andler.)
  3. On voit par ce passage que l'article de Moritz Hess dans le Réveil du 2 octobre 1869 avait été écrit sous l'inspiration de Marx, — à moins que l'idée ne vînt de Hess et que Marx l'eût empruntée de lui.
  4. Ceci est un comble. Et les graveurs du Locle ne me chassèrent pas ignominieusement comme un faussaire, lorsque le 25 septembre (voir p. 219) j'allai rendre compte de ma délégation dans l'assemblée des trois Sections ! Pauvre Marx ! à quelles stupidités s'est abaissée parfois cette intelligence qui pouvait rendre — et qui a rendu, malgré les aberrations de l'homme et son détestable caractère — de si grands services à la cause du prolétariat !
  5. Lesquelles ? Je n'en connais pas une. Les délégués du Conseil général à Bâle, Jung, Eccarius, Lessner, Cowell 8tepney, étaient nos amis personnels.
  6. Si la proposition de la Commission du droit d'héritage ne réunit pas une majorité absolue de oui, la proposition du Conseil général, elle, réunit une majorité absolue de non.
  7. Ceci est précisément le contre-pied de la vérité. On a vu (p. 209) que les délégués du Conseil général proposèrent, au nom de ce Conseil, que le siège en fût transféré à Bruxelles, et que nous insistâmes tous — les délégués de la Suisse française d'une façon encore plus pressante que leurs collègues des autres pays — pour que le Conseil restât à Londres.
  8. On le voit, nous sommes en plein roman.