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sités économiques impérieuses l'enchaînaient à son travail professionnel et ne lui permettaient pas, à ce moment, une absence de plusieurs jours ; il répondit par la lettre suivante :

« J'ai dépensé six mois de mon temps et le peu d'argent que j'avais à créer l’Égalité, et quatre autres mois à essayer de fonder une imprimerie coopérative pour laquelle j'avais déjà réuni vingt mille francs, lorsque, entre autres motifs, l'intérêt personnel d'un mauvais génie[1] trop connu dans l'internationale de Genève est venu faire échouer un projet que les membres de l'Imprimerie coopérative actuelle ont lieu de regretter. Quoi qu'il en soit, après ces dix mois de temps perdu, je me suis trouvé en face de dettes et de patrons bijoutiers qui me refusaient de l'ouvrage. La situation était tendue, j'ai redoublé d'activité, j'ai cherché de l'ouvrage à l'extérieur et j'en ai trouvé[2] ; l'ouvrage presse maintenant, et m'absenter trois ou quatre jours c'est perdre ma clientèle, c'est perdre l'indépendance que je me suis créée par mon travail, ma patience et mon activité. J'ai encore quelques dettes et je ne puis jouer ce jeu ; je dois donc laisser passer cette affaire du journal sans rien dire. Je désirerais vivement que le jour se fît tout plein sur la question du journal. J'aurais voulu faire la lumière sur cette question qui n'est jamais sortie des petits comités ; j'aurais voulu que la publicité des comptes-rendus du Congrès réduisît à néant, aux yeux de tous les membres de l'Association, les calomnies indignes dont Robin, ce champion si ardent et si avancé de l'Internationale, a été victime ; j'aurais voulu faire ressortir ce fait qui est au fond du débat, c'est que ce sont les principes mêmes du socialisme révolutionnaire qui sont mis en question et combattus par ceux de nos frères qui en sont encore aux idées de 1848, ou aux idées qui prévalaient au début de l'Association internationale. Ce sont les idées confuses où nous étions nous-mêmes pour la plupart, il y a deux ou trois ans à peine, qui sont aux prises avec la conception claire, parfaitement définie, des moyens de parvenir à l'affranchissement radical du prolétariat que beaucoup d'entre nous ont acquise… Après m'être vu calomnié à Genève pour avoir eu le courage de défendre jusqu'au bout le socialisme révolutionnaire et mon ami Robin, je suis encore forcé de me laisser calomnier sans défense devant les internationaux de la Suisse représentés au Congrès romand, et cela par des ouvriers, par nos frères ! C'est dur… Je réclame de vous, de votre amitié, que vous demandiez la nomination d'un jury d'honneur qui siégerait à Genève, et qui, dans ses séances publiques, ferait une enquête et prononcerait un arrêt porté à la connaissance de tous par l’Égalité[3] ».

Devant le refus ainsi motivé de Perron, la Section de la propagande désigna deux de ses membres, Fritz Heng et Henri Chevalley, pour la représenter au Congrès romand, y protester contre la décision du Comité fédéral, et réitérer la demande d'admission dans la Fédération romande.

On apprit en même temps que la Section centrale de la Chaux-de-Fonds, ou ancienne Section, — celle des coullerystes, — venait de choisir, pour ses délégués au Congrès, Coullery lui-même — qui allait rentrer en scène — et un de ses amis, G. Robert-Giroud. C'était la déclaration de guerre.

Le samedi 2 avril, Bakounine m'écrivait de Genève la lettre suivante, qui fut apportée à la Chaux-de-Fonds le lendemain par Joukovsky[4] :


Mon cher ami, Hier soir, le comité de la Section de l'Alliance, sur ma proposition, a décidé qu'il sera proposé à la Section :

  1. Le typographe Crosset.
  2. Perron avait réussi à obtenir la clientèle d'un grand bijoutier de Hanau (Hesse-Cassel).
  3. Lettre publiée par Nettlau.
  4. Joukovsky, après m'avoir montré cette lettre, la garda par devers lui ; cela explique qu'elle ait été retrouvée dans ses papiers par Nettlau, qui l'a publiée.