Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces intrigants dangereux ? Nous avions la certitude, nous, d’être d’accord avec l’internationale tout entière ; non seulement avec les socialistes de France et de Belgique, comme l’avait montré l’assemblée de Lyon, mais avec ceux d’Espagne et d’Italie, d’Autriche et d’Allemagne. Liebknecht, lui-même, dans ses polémiques avec Schweitzer, n’écrivait-il pas que pratiquer le parlementarisme (das Parlamenteln), c’était myopie ou trahison (Kurzsicht oder Verrath) ; que la question sociale ne devait pas être résolue dans un parlement, mais dans la rue, sur le champ de bataille ? Le Volksstaat accueillait et publiait une correspondance de Barcelone, écrite par Sentiñon, où il était dit que « les ouvriers espagnols ont commencé à comprendre que leurs associations et leurs fédérations peuvent et doivent remplacer l’État » ; à propos de la candidature d’Odger à Londres, « ils s’étonnaient que nos amis anglais, qui ont la réputation d’être des hommes pratiques, pussent être assez enfants pour espérer un résultat quelconque de la nomination d’un ouvrier comme membre du Parlement[1] ». Schwitzguébel, qui commençait à s’essayer à écrire, esquissa la théorie collectiviste et fédéraliste en une série de trois articles, intitulés L’État[2], De l’organisation industrielle et La révolution sociale ; ils parurent dans le Progrès (12 et 19 mars et 2 avril) ; on put lire également dans ce journal (26 février) un autre fragment du discours de De Paepe au meeting de Patignies, disant : « Donc, prolétaires, il y a trois choses à détruire : Dieu, le Pouvoir et la Propriété ; il y a une chose à établir, la Justice » ; une étude historique de B. Malon, L’idée sociale dans le passé et dans le présent (12, 19 et 26 mars) ; le texte de l’Adresse des travailleurs belges lue au meeting de Lyon (26 mars et 2 avril). Le Progrès, par suite de l’éclipse de l’Égalité, était resté le seul représentant dans la Suisse française du socialisme collectiviste et révolutionnaire ; mais il évitait soigneusement toute parole malveillante à l’adresse du journal genevois, tout ce qui eût pu ressembler à une attaque dirigée contre les hommes qui gouvernaient au Temple-Unique.

Cependant une nouvelle intrigue s’ourdissait à Genève. Outine, avec la complicité de Becker, venait de former un projet bien étonnant : non content de s’être emparé de l’Égalité, il rêvait maintenant de s’emparer de la Section de l’Alliance, pour la neutraliser, en lui faisant modifier son programme. Dans l’assemblée générale de la Section du 6 mars, on s’occupa, conformément à ce qui avait été décidé, d’une revision du règlement. Dans celle du 13 mars, le procès-verbal porte cette mention : « Le citoyen Outine propose de chercher les moyens pour faire la propagande ; adopté ». À l’ordre du jour de l’assemblée du 26 mars figure, sans autre indication, une « proposition Outine[3] » ; et dans cette assemblée on procéda à une revision du programme. À l’article 1er, Becker proposa de remplacer les mots : « L’Alliance se déclare athée » par ceux-ci : « L’Alliance se déclare matérialiste », vu que, expliqua-t-il, « la négation sans affirmation ne veut rien dire » ; Joukovsky[4] proposa de mettre « athée et matérialiste » ; c’est la proposition de Becker qui fut adoptée. À l’article 5 : « Elle reconnaît que tous les États politiques et autoritaires actuellement existants… doivent

  1. Cette correspondance fut reproduite dans le Progrès du 19 mars 1870.
  2. Cet article L’État m’a été attribué par erreur dans le livre russe Développement historique de l’Internationale (Istoritcheskoé razvitié Internatsionala), Zurich, 1873.
  3. Ce n’est pas qu’Outine fût devenu effectivement membre de la Section de l’Alliance. Les séances étaient publiques, et tout membre de l’Internationale avait le droit d’y parler. Mais il est certain qu’Outine avait annoncé l’intention de se faire inscrire comme membre de la Section, et qu’en même temps il avait fait des objections à certains articles du programme, qu’il désirait voir changer (Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 99. C’est probablement à cela que se rapportent les mots « proposition Outine » du procès-verbal du 19 mars.
  4. Depuis le 19 mars, Joukovsky était devenu secrétaire de la Section, en remplacement de l’Espagnol Celso Gomis, qui avait quitté Genève.