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« L'État politique n'a plus de raison d'être ; le mécanisme artificiel appelé gouvernement disparaît dans l'organisme économique, la politique se fond dans le socialisme » ; quant à la coopération, « les socialistes ne considèrent pas l'extension et la généralisation des sociétés coopératives comme devant réaliser l'affranchissement intégral du prolétariat ». Cette Adresse, qui répondait aux sentiments de tous, fut accueillie par des applaudissements unanimes : l'assemblée de Lyon manifesta ainsi publiquement l'union des socialistes des trois pays de langue française, et les collectivistes des Sections romandes purent constater qu'ils se trouvaient en étroite communion de principes avec les Sections de l'Internationale en France et en Belgique.


En se rendant à Lyon, Schwitzguébel était chargé d'une double mission. Ostensiblement, il allait porter le salut de nos Sections aux internationaux lyonnais ; mais en même temps, à titre confidentiel, il devait se renseigner sur mainte chose d'ordre intime, et contrôler par les siennes propres les impressions que j'avais rapportées en décembre. Bakounine, qui avait vu Schwitzguébel, l'avait chargé d'une lettre pour Albert Richard, lettre dont communication devait être donnée également aux autres Français faisant partie de notre intimité, Varlin, Bastelica (Aubry n'en était pas). Dans cette lettre, Bakounine exposait ses idées en ces termes :


Si je pouvais assister à cette importante réunion, voici ce que je dirais aux ouvriers français, avec toute la franchise barbare qui caractérise les démocrates socialistes russes :

« Travailleurs, ne comptez plus que sur vous-mêmes. Ne démoralisez pas et ne paralysez pas votre puissance ascendante par des alliances de dupes avec le radicalisme bourgeois. La bourgeoisie n'a plus rien à vous donner. Politiquement et moralement elle est morte, et elle n'a conservé de toutes ses magnificences historiques qu'une seule puissance, celle d'une richesse fondée sur l'exploitation de votre travail...

« Est-ce à dire que vous deviez repousser tous les individus nés et élevés au sein de la classe bourgeoise, mais qui, pénétrés de la justice de votre cause, viendront à vous pour la servir et pour vous aider à la faire triompher ? Bien au contraire, recevez-les comme des amis, comme des égaux, comme des frères, pourvu que leur volonté soit sincère et qu'ils vous aient donné des garanties tant théoriques que pratiques de la sincérité de leurs convictions. En théorie, ils doivent proclamer hautement et sans aucune réticence tous les principes, conséquences et conditions d'une sérieuse égalité économique et sociale de tous les individus ; en pratique, ils doivent avoir résolument et définitivement rompu tous leurs rapports d'intérêt, de sentiment et de vanité avec le monde bourgeois qui est condamné à mourir. »

... Lors même que la politique bourgeoise serait rouge comme le sang et brûlante comme le fer chaud, si elle n'accepte pas comme but immédiat et direct la destruction de la propriété juridique et de l'État politique, les deux faits sur lesquels s'appuie toute la domination bourgeoise, son triomphe ne pourrait être que fatal à la cause du prolétariat.

... Les ouvriers voudront-ils encore une fois jouer le rôle de dupes ? Non. Mais pour ne pas devenir dupes, que doivent-ils faire ? S'abstenir de toute participation au radicalisme bourgeois et organiser en dehors de lui les forces du prolétariat. La base de cette