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lié depuis son installation à Locarno[1]. Il arriva le 11 mars à Neuchâtel, où il s'arrêta pour causer avec moi, et où il fit la connaissance de mon camarade David Perret[2] ; le 12, il partit pour Genève, faisant route, si ma mémoire ne me trompe pas, avec Schwitzguébel, qui, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, se rendait à Lyon. À Genève, Bakounine ne s'occupa, jusqu'à la fin de mars, que des affaires russes, et sa présence resta ignorée de tous, sauf des plus intimes amis. C'est pendant ce séjour qu'il écrivit la brochure Les Ours de Berne et l'Ours de Saint-Pétersbourg, dont il me remit le manuscrit en s'en retournant à Locarno le 18 avril. Le projet de ressusciter le Kolokol fut discuté et adopté par les amis russes de Bakounine : un avis paru dans l’Égalité (26 mars) et le Progrès (2 avril) annonçait qu'il n'en serait publié d'abord qu'un numéro par semaine, que le premier numéro paraîtrait au commencement d'avril, et qu'il y serait ajouté un supplément en français : le journal devait s'imprimer chez L. Czerniecki, à Genève[3], chez qui on pourrait se procurer aussi les écrits destinés à la propagande : en tête de la liste de ces écrits figurait le Manifeste du parti communiste[4].


Nos amis de France continuaient leur travail d'organisation. À Paris, dans une réunion de délégués, le 7 mars, il fut décidé de former une fédération des Sections parisiennes de l'Internationale, et une commission de huit membres fut nommée pour en élaborer les statuts[5]. Dans cette même réunion, Varlin fut choisi pour représenter Paris dans une grande assemblée qui devait avoir lieu à Lyon, salle de la Rotonde, aux Brotteaux, le dimanche 13 mars, assemblée à laquelle Marseille, Vienne (Isère), Aix, la Ciotat, Dijon et Rouen envoyèrent également des délégués ; Adhémar Schwitzguébel s'y rendit comme représentant de plusieurs Sections de la Suisse française. L'assemblée réunit cinq mille personnes ; Varlin fut élu président ; prirent la parole Albert Richard de Lyon, puis Bastelica et Pacini de Marseille, Aubry de Rouen, Schwitzguébel de Sonvillier ; il fut donné lecture d'une Adresse des travailleurs belges aux délégués des travailleurs français, rédigée par De Paepe ; dans cette Adresse étaient traitées ces deux questions : « Quelle doit être l'attitude de la classe prolétarienne vis-à-vis des mouvements politiques qui tendent à modifier la forme des gouvernements, vis-à-vis des démocrates radicaux et des républicains bourgeois ? Quelle doit être l'attitude de la classe prolétaire vis-à-vis du mouvement coopératif ? » La réponse faite à ces questions était catégorique :

  1. Emilio Bellerio était le fils d'un républicain italien, Carlo Bellerio, réfugié en Suisse et naturalisé Tessinois. Il avait été à Zurich, de 1864 à 1866, le condisciple de mon ami David Perret au Polytechnikum fédéral. Je ne le connaissais que de nom et ne l'ai jamais rencontré. Il avait inspiré une grande confiance à Bakounine, dont il fut à Locarno l'ami dévoué et auquel il rendit de nombreux services.
  2. Une lettre de Bakounine à Emilio Bellerio (Genève, 13 mars 1870), retrouvée par Nettlau, dit ceci : « Mon cher ami, hier soir je suis arrivé à Genève. J'ai passé à Neuchâtel toute une journée, et savez-vous qui j'ai rencontré ? un ancien ami à vous, le jeune David Perret, qui a sauté jusqu'au plafond lorsqu'il a appris que je vous connaissais, et lorsque je lui parlai de vous comme d'un ami. C'est un excellent jeune homme, l'ami de mon ami James Guillaume. »
  3. Il parut quelques numéros seulement de cette nouvelle série du Kolokol, en avril et mai 1870.
  4. On sait — ou, plutôt, on ignore généralement — que la traduction russe du Manifeste du parti communiste, de Marx et d'Engels, était l'œuvre de Bakounine ; cette traduction (à ce que disent Marx et Engels dans la préface mise en tête de la nouvelle traduction russe faite par Véra Zassoulitch, 1883) avait paru à l'imprimerie du Kolokol, à Londres, un peu après 1860.
  5. Lettre de Varlin à Aubry, du 8 mars 1870 (Troisième procès de l'Internationale à Paris, p. 53). Le projet de statuts préparé par cette commission fut approuvé dans une nouvelle réunion de délégués, le 18 mars, et ensuite définitivement adopté dans une assemblée générale des Sections parisiennes tenue le 19 avril, salle de la Marseillaise.