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heures par semaine, enlevées au travail qui me faisait vivre[1] ou à mon sommeil ; je crus avoir payé ma dette. Attiré vers Paris où je sentais la révolution prochaine, je quittai de dégoût une ville où, sauf quelques individus pour la plupart étrangers, les gens ne connaissent d'autre socialisme que d'avoir de beaux drapeaux rouges avec des devises ronflantes, ou de boire du vin blanc en criant les mêmes devises ; où l'Internationale était gouvernée par d'impénétrables comités secrets ne rendant de comptes à personne. Et M. Outine, qui me faisait encore mille tendresses, qui m'accompagnait à la gare à mon départ[2], tripotait dans le nouveau comité de rédaction, en devenait le chef, d'abord en fait, puis en titre[3]. » Quant à la Section de l'Alliance, elle ne réunissait plus qu'un petit nombre d'adhérents : à l'assemblée générale du 23 janvier, il y eut seulement seize votants pour l'élection du comité. Dans cette assemblée il se passa une chose importante : Perron proposa d'écrire au Comité fédéral romand pour lui annoncer que la Section de l'Alliance ne demanderait pas à faire partie de la Fédération romande ; cette proposition, faite en vue d'amener un apaisement qui paraissait encore possible, fut adoptée, et le procès-verbal constate qu'il fut décidé que l'Alliance s'abstiendrait de formuler au Congrès romand une demande d'admission dans la Fédération. Peu de jours après (5 février), Joukovsky, dont le nom paraît alors pour la première fois dans les procès-verbaux de la Section de l'Alliance, est élu membre de la commission de surveillance ; le 18 février, il est chargé, avec deux collègues, de s'occuper d'une revision des statuts de la Section, qui devaient être réimprimés. La discussion concernant cette revision occupa tout le mois de mars : j'y reviendrai tout à l'heure.


Le dimanche 27 février eut lieu à Lausanne, à l'hôtel des Trois-Rois, le grand meeting organisé par la Section de cette ville ; il avait pour but de ramener les ouvriers lausannois sous le drapeau de l'Internationale, que la plupart d'entre eux avaient déserté. « Là se rencontrèrent, pour la dernière fois avant la rupture, les hommes de la coterie genevoise et le parti collectiviste[4]. » Le Comité fédéral romand avait délégué Henri Perret et Chénaz, le Comité genevois Grosselin, Guétat, Martin, Weyermann, Duval, Napoléon Perret. Les collectivistes étaient représentés par deux délégués de la Section de Neuchâtel, Henri Wenker et moi, par cinq délégués de la Section de Vevey, dont son président Samuel Rossier, et en outre par Perron et Brosset, venus individuellement de Genève. Wenker présida. Guétat, Grosselin, Henri Perret, Weyermann. Duval, firent leurs discours habituels, sans sortir de quelques généralités vagues et peu compromettantes. Perron définit nettement le programme de l'Internationale : « La terre à ceux qui la cultivent de leurs bras ; l'usine, la fabrique, tous les instruments de travail aux travailleurs ». Brosset, avec sa rude éloquence, adressa un énergique appel aux travailleurs lausannois, et leur expliqua la possibilité pour les ouvriers de renverser l'ordre bourgeois, pourvu qu'ils en eussent le courage. Quant à moi, je parlai contre le parlementarisme corrupteur, et je dis que si les sept membres du Comité fédéral romand, en qui nous avions confiance, étaient placés à la tête de l'État, ils n'y pourraient faire aucune besogne utile ; l’Égalité, dans son compte-rendu, travestit mes paroles de la façon la plus perfide, et me prêta cette phrase idiote : « Je ne reconnais aucune forme de gouvernement ; il faut les supprimer tous, et nommer des hommes chargés d'exécuter nos volontés, et qui auront pour mandat de nous instruire ». Ce fut moi qui, à la fin de la réunion, proposai à l'assemblée la résolution

  1. Robin avait travaillé comme peintre sur émail — après un apprentissage de quelques semaines — dans l'atelier de Perron.
  2. Robin quitta Genève au commencement de février 1870.
  3. C'est seulement au commencement de mai 1870 qu'Outine devint officiellement membre du Conseil de rédaction de l’Égalité.
  4. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 102.