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Au moment où le Conseil général adressait aux divers comités, le 16 janvier 1870, sa « Communication privée » du 1er janvier, Robin et Perron, de leur côté, dans leur zèle intempestif, prenaient l’initiative d’une démarche encore plus maladroite que ne l’avaient été les articles de l’Égalité. Ils rédigèrent — ou plutôt Robin rédigea, car je crois qu’il fut seul à tenir la plume — une sorte de pétition au Conseil général, qu’ils eurent l’idée de faire signer à un certain nombre de membres de l’Internationale, délégués au Congrès de Bâle, pour l’envoyer ensuite à Londres. Je ne me rappelle pas dans quels termes cette pièce était conçue. Tout ce que je puis dire, c’est qu’ils me la communiquèrent en me demandant ma signature, que j’eus la faiblesse de leur donner. Ils la communiquèrent également, entre autres, à Sentiñon à Barcelone et à Bakounine à Locarno. Sentiñon et Bakounine signèrent, et Sentiñon envoya ensuite le document à Varlin, à Paris. On lit à ce sujet ce qui suit, dans l’acte d’accusation contre les trente-huit membres de l’Internationale parisienne inculpés d’avoir fait partie d’une société secrète : « Sentiñon, de Barcelone (Espagne), l’un des délégués au Congrès de Bâle, transmet à Varlin, le premier février, une pièce qu’il a reçue de Genève, et qu’il prie ce dernier de renvoyer, après qu’elle aura été signée par les membres de l’Internationale à Paris, à Richard, qui la fera lui-même parvenir à Genève. C’est une pétition au Conseil général pour obtenir qu’il resserre ses liens avec l’Association par des communications fréquentes et régulières[1]. » Dans la lettre qu’il écrivait à Varlin en lui transmettant ce document, Sentiñon disait : « À vous, qui suivez sans nul doute le mouvement actuel de la France, ferons-nous encore remarquer que les événements les plus graves peuvent surgir d’un jour à l’autre, et qu’il est extrêmement funeste que le Conseil général ne soit pas depuis longtemps en correspondance active avec ceux qui se trouveront à la tête du mouvement révolutionnaire[2] ? » Je crois me souvenir que Varlin adressa — comme Bakounine m’en avait adressé à moi-même — des observations à Robin sur l’inopportunité de la démarche proposée, observations à la suite desquelles les auteurs de la pétition renoncèrent à la faire parvenir à Londres. Dans le Mémoire sur l’Alliance dont j’ai cité déjà divers passages, Bakounine rappelle ce petit incident, et voici ce qu’il en dit :


Vous souvenez-vous de cette fameuse protestation contre la ligne de conduite et contre les préoccupations exclusivement anglaises du Conseil général, qui avait été rédigée par Robin et par Perron et qu’ils avaient envoyée à l’acceptation des Montagnes, de l’Italie, de l’Espagne, Elle me fut également envoyée. Y trouvant leur nom et le nom de Guillaume, je la signai pour ne point me séparer de mes amis, et pour ne point décliner la solidarité qui me liait à eux ; mais, tout en la signant, j’écrivis à Guillaume tout ce que j’en pensais. C’était, selon moi, une protestation injuste d’un côté, et de l’autre impolitique et absurde. Ce fut bien heureux pour nous tous que cette protestation, déjà signée par les Espagnols et les Italiens, ait été enterrée, car, si elle avait vu le jour, c’est alors qu’on aurait crié contre nous et qu’on nous aurait accusés d’intrigues[3].

  1. Troisième procès de l’Internationale à Paris, p. 42.
  2. Ibid., p. 43.
  3. Comme on le voit, Bakounine ignorait à ce moment que la pétition avait été envoyée à Paris par Sentiñon, que la lettre de Sentiñon à Varlin avait été lue au procès de juin 1870, puis publiée dans le volume édité par Le Chevalier, et que par conséquent Marx avait pu avoir connaissance de la démarche tentée par Robin et Perron.