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une véritable provocation à l'adresse du Conseil général, et Marx n'était pas homme à permettre qu'on lui parlât sur ce ton. Il allait le faire voir[1].

L'article que j'avais publié dans le Progrès (n° 25, 4 décembre), et dont parlait Robin en disant qu'il se joignait au Progrès pour interpeller Londres, n'avait, lui, absolument rien d'agressif, comme on va le constater ; il exprimait la perplexité où j'étais, l'étonnement que m'avait causé l'attitude de Liebknecht après le Congrès de Bâle, et l'étonnement non moins grand où me jetait celle de Schweitzer et des lassalliens. Je reproduis cet article ici :


On sait que la presque totalité des ouvriers socialistes, en Allemagne, font partie d'une grande association fondée par Lassalle. À la mort de Lassalle, M. de Schweitzer lui succéda comme président de l'Association, et c'est lui qui la dirige encore aujourd'hui.

Cette année, au Congrès d'Eisenach, une scission s'est produite. Une partie des socialistes allemands, accusant Schweitzer d'être vendu à Bismarck et de travailler dans l'intérêt de la réaction, se séparèrent de lui sous la conduite de M. Liebknecht, et fondèrent une association nouvelle, dont l'organe est le journal Der Volksstaat, paraissant à Leipzig. Les amis de Liebknecht s'intitulent parti de la Démocratie sociale : loin de renoncer à la politique comme nous, ils disent hautement que les réformes politiques doivent précéder les réformes sociales, — ce qui est absolument contraire au principe même en vertu duquel l'Association internationale des travailleurs s'est constituée.

M. Liebknecht est venu au Congrès de Bâle. Il s'y est prononcé d'une manière assez équivoque sur le principe de la propriété collective ; par contre il a été l'un des plus chauds avocats de la législation directe. Enfin, il a raconté à sa manière les discussions du Congrès d'Eisenach, a dépeint Schweitzer et ses partisans sous les couleurs les plus noires, et a demandé, pour lui et ses amis, d'être reçus dans le sein de l'Internationale.

Il était impossible aux délégués de Bâle, peu au fait des affaires d'Allemagne, de vérifier l'exactitude des assertions de M. Liebknecht. Aussi aucune protestation ne se fit entendre, et personne n'essaya de mettre en doute sa bonne foi.

Mais voici qu'après le Congrès de Bâle, M. Liebknecht et ses amis refusent d'admettre la résolution concernant la propriété collective. Ils déclarent que c'est là un principe que chaque association ouvrière peut accepter ou rejeter, sans que cela porte atteinte à la pureté de son socialisme. En un mot, ils renient le programme de l'Internationale, ils font des concessions aux tendances bourgeoises.

Par contre — à notre grand étonnement — les ouvriers lassalliens,

  1. Dans le Mémoire de la Fédération jurassienne, j'ai évité de critiquer Robin, alors en butte à toutes les haines du parti marxiste ; j'ai insisté sur ses bonnes intentions, et pallié les torts d'un écrivain emporté par la nervosité de sa plume. « L’Égalité, disais-je, publia plusieurs articles dictés par les intentions les plus bienveillantes, et dans lesquels on réclamait du Conseil général des directions, un appui plus réel, une intervention plus fréquente. Croirait-on que ces articles, écrits dans le but de rendre l'action du Conseil général plus efficace, ont été représentés par nos adversaires comme des attaques à ce Conseil ? » Je reproduisais ensuite les articles de l’Égalité, et je concluais : « Toutes ces choses sont dites peut-être avec quelque vivacité. — affaire de tempérament, — mais elles n'avaient rien d'agressif. Encore une fois, où est l'attaque ? » Il n'y a plus de raison aujourd'hui pour ne pas rendre à chacun ce qui lui est dû, et pour ne pas constater que Robin manqua de mesure et de tact et faillit compromettre ainsi la meilleure des causes.