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d'ailleurs d'introduire dans le monde de la démocratie ouvrière des habitudes bourgeoises. Dans l'Internationale il n'y a qu'un moyen de justice et de réparation pour l'honneur offensé : c'est le jugement populaire.

Il me répugnait égalemenl d'occuper tout le Congrès de ma question personnelle. D'ailleurs l'Internationale, toute jeune qu'elle est, a déjà pour de pareils cas une pratique bien établie, celle des jurys d'honneur[1].

De mon côté je choisis au sein du Congrès cinq jurés : Fritz Robert, délégué de la Suisse romande ; Gaspard Sentiñon, Espagnol, délégué de l'Alliance de la démocratie socialiste et des Sections ouvrières de Barcelone ; Palix, délégué de Lyon ; César De Paepe, délégué de Bruxelles ; et Neumayer, Autrichien, délégué de la Section de Wiener-Neustadt. De tous ces délégués, je n'avais connu auparavant qu'un seul : Fritz Robert, pour l'avoir rencontré quelquefois dans les montagnes du Jura, et je n'avais fait la connaissance des autres qu'à la veille du Congrès, à Genève ou à Bâle.

De son côté mon adversaire avait choisi cinq délégués allemands, parmi lesquels le citoyen Eccarius, secrétaire du Conseil général de Londres, les citoyens Rittinghausen et Spier. Je ne me rappelle pas avec certitude que M. Maurice Hess ait été de ce nombre, mais il me paraît que oui[2]. Quant au nom du cinquième, je l'ai totalement oublié[3]. De plus, le vieux J.-Philippe Becker, le socialiste unanimement respecté de tout le monde, assistait au jury comme témoin.

Je vous ferai grâce des détails et me contenterai de vous donner un court résumé de ce qui s'est passé au sein de ce tribunal populaire.

J'accusai mon adversaire de m'avoir calomnié, et je le sommai de produire les preuves de son accusation contre moi. Il m'a répondu qu'on avait faussement interprété ses paroles ; qu'il ne m'avait jamais proprement accusé et n'avait jamais dit qu'il eût quelque preuve contre moi ; qu'il n'en avait aucune, excepté une seule peut-être : c'était mon silence après les articles diffamatoires que Borkheim avait publiés contre moi dans l'organe principal de la démocratie prussienne, la Zukunft, et qu'en parlant de moi devant ses amis, il n'avait fait qu'exprimer la surprise que lui avait causée ce silence ; que du reste il m'avait réellement accusé d'avoir porté un dommage à l'établissement de l'Internationale par la fondation de l'Alliance de la démocratie socialiste.

Cette question de l'Alliance fut mise de côté, à la demande d'Eccarius, membre du Conseil général, qui observa que l'Alliance ayant été reconnue comme une branche de l'Internationale, que son programme aussi bien que son règlement ayant reçu la sanction unanime du Conseil général de Londres, et que son délégué ayant été reçu au Congrès, il n'y avait plus lieu d'en discuter la légitimité.

Quant à la question principale, le jury déclara à l'unanimité que mon adversaire avait agi avec une légèreté coupable, en accusant un

  1. Un jury d'honneur avait eu à se prononcer, en juin 1869, sur des accusations dirigées contre Albert Richard, de Lyon, par les citoyens Aristide Cormier et Carnal, et sa sentence avait été publiée dans l'Égalité du 19 juin 1869.
  2. Le Mémoire de la Fédération jurassienne indique (page 84) Maurice Hess comme ayant effectivement fait partie de ce jury d'honneur.
  3. Le Mémoire ne donne pas non plus le nom de ce cinquième membre...