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d'honneur qui fut appelé à se prononcer sur des accusations infamantes lancées contre Bakounine par certains représentants de la démocratie socialiste allemande ; 2° le blâme infligé à Coullery par le Congrès ; 3° l'intimité qui s'établit entre quelques délégués de la Suisse française et l'un des délégués parisiens, Eugène Varlin.


1° Bakounine et le jury d'honneur de Bâle

En ce qui concerne les calomnies répandues en Allemagne contre Bakounine, celui-ci a fait lui-même le récit de cette affaire dans une lettre qu'il destinait au journal le Réveil de Paris, et qui ne fut pas imprimée. Voici ce qu'il raconte :


J'avais appris un mois à peu près avant le Congrès de Baie, et à la veille du Congrès d'Eisenach[1], qu'un des chefs du nouveau parti de la démocratie socialiste dans le Nord de l'Allemagne — je m'abstiens de le nommer[2] — avait osé dire, dans une réunion demi- publique d'amis : que j'étais évidemment un agent excessivement dangereux du gouvernement russe, et qu'il en avait toutes les preuves dans sa main ; que par la fondation de l'Alliance de la démocratie socialiste j'avais voulu détruire l'Association internationale des travailleurs, et que, rusé et diplomate comme le sont tous les Russes, j'avais même réussi à tromper et à entraîner le vieux socialiste allemand J.-Philippe Becker.

Ce dernier partant précisément pour le Congrès d'Eisenach, je le chargeai d'une lettre ouverte pour mon calomniateur[3], en le priant de la lui lire en présence de plusieurs amis, et au besoin en présence de tout le Congrès. Dans cette lettre je donnais à mon accusateur nouveau[4] un mois de temps pour réunir contre moi toutes les preuves possibles, en l'avertissant que s'il ne prouvait pas ses accusations contre moi au Congrès de Bâle, où nous devions nous rencontrer tous les deux, je le traiterais comme un calomniateur infâme.


J'interromps ici le récit de Bakounine pour donner la traduction de la lettre, écrite en allemand, remise par lui à J.-Ph. Becker (qui alors était son ami et membre de la Section de l'Alliance de Genève) :


Le 4 août 1869. Genève.

Mon cher Becker, Notre ami Wertheim m'a dit, et m'a répété hier soir en ta présence, qu'il a plu à M. Liebknecht, socialiste allemand et homme honorable, de me calomnier de la façon la plus ignoble. Il a affirmé publiquement, en présence de Wertheim :

  1. On sait que le Congrès d'Eisenach (7-9 août 1869), où fut tenté un rapprochement entre les socialistes lassalliens et les adhérents de Liebknecht et de Bebel. — rapprochement qui échoua, — eut pour résultat la constitution d'un Parti démocrate socialiste ouvrier (Sozialdemokratische Arbeiterpartei), qui se posa en rival de l'Association lassallienne présidée par Schweitzer (l’Allgemeiner deutscher Arbeiterverein) et qui se donna pour organe le journal de Liebknecht, le Demokratisches Wochenblatt, lequel prit, à partir du 1er octobre suivant, le titre de Volksstaat.
  2. C'est Liebknecht.
  3. La lettre était adressée, comme on va le voir, non pas au calomniateur lui-même, mais à Becker, qui devait donner connaissance du contenu à Liebknecht.
  4. Bakounine l'appelle « nouveau », parce que, dans un passage antérieur, que je n'ai pas reproduit, il a parlé d'autres calomnies publiées contre lui par un ami de Marx, Borkheim, dans la Zukunft de Berlin. Borkheim avait été, en septembre 1868, au Congrès de la paix, à Berne, un des plus acharnés adversaires de la minorité socialiste dont Bakounine s'était fait l'organe.