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gie ; il quitte la France, où le clergé le persécuterait, et vient chercher en Suisse des moyens d'existence. Il me demande des conseils. Nous déjeunons ensemble, puis nous passons la matinée à causer avec mon père qui, contre mon attente, a fait à M. Martinaud un très bon accueil. Enfin, sans te conter tous les détails, je te dirai que M. Martinaud a demandé s'il ne pourrait pas trouver du travail comme ouvrier compositeur chez nous ; il a autrefois commencé un apprentissage d'imprimerie. Nous lui avons répondu qu'il y gagnerait à peine sa vie, au moins en commençant. Malgré cela, il paraît résolu à essayer, et nous lui avons dit qu'il y avait de l'ouvrage à son service.

Il a dîné avec nous ; mes sœurs et frères, ma mère, tout le monde le trouve très comme il faut ; sa sincérité et son courage nous ont vivement intéressés à lui. J'avais promis à David Perret d'aller chez lui l'après-midi ; j'y suis allé avec M. Martinaud et Charlet[1] ; enfin, nous sommes tous revenus goûter à la maison, et nous avons passé la soirée ensemble. Martinaud s'est logé à l'hôtel, et il viendra cet après-midi essayer son métier. (Lettre du 6 septembre 1869.)


Le mardi 7 septembre, je reçus de Bâle des télégrammes pressants, qui m'adjuraient de me rendre au Congrès, en acceptant le mandat que m'offrait la Section des graveurs du Locle. Je ne me crus pas le droit de ne pas répondre à l'appel de mes amis, et je me décidai à partir. Outre le mandat des graveurs du Locle, j'avais encore à ma disposition celui de la Section de Neuchâtel. Me voyant faire mes préparatifs de voyage, Martinaud, qui à Paris s'était fait inscrire parmi les adhérents de l'Internationale, me témoigna l'intention de se rendre à Bâle aussi : je le fis agréer comme délégué par la Section de Neuchâtel à ma place, gardant pour moi le mandat des graveurs du Locle[2]. Nous partîmes ensemble. Dans le train, je trouvai Charles Longuet, que je connaissais depuis 1867, et qui se rendait à Bâle non comme délégué, mais comme journaliste : il fit route avec nous.

Dans cette même lettre du 6 septembre dont je viens de reproduire le commencement, je faisais part en ces termes d'une nouvelle que je venais de recevoir :


Il paraît que le père Meuron quitte le Locle[3] mais non pas pour

  1. Mon plus jeune frère.
  2. Dans la liste des délégués au Congrès de Bâle (Compte-rendu du Congrès, page XV), mon nom et celui de Martinaud sont mentionnés de la façon suivante :
    « James Guillaume, professeur, délégué de la Section du Locle et de la Société des graveurs (à Neuchâtel).
    » Martinaud, typographe, délégué de la Section de Neuchâtel (chez M. Guillaume, au Mail, près de Neuchâtel). »
    La mention qui me concerne est inexacte : il aurait fallu dire « délégué de la Section des graveurs du Locle » ; je n'étais pas délégué de la « Section du Locle », qui était représentée par François Floquet, ainsi que le constate la liste, où on lit (même page) :
    « Floquet, monteur de boîtes, délégué de la Section centrale du Locle (rue du Collège, au Locle, canton de Neuchâtel). »
    La liste des délégués renferme plusieurs inexactitudes ; par exemple, Schwitzguébel est qualifié de « délégué des Sections du district de Courtelary » : or il n'y avait dans le district de Courtelary qu'une Section unique.
  3. Le propriétaire de l'atelier de monteurs de boîtes où Constant Meuron était comptable (c'était le beau-père du pasteur Comtesse) venait de le remercier, parce qu'il le trouvait trop vieux, lui avait-il dit ; en réalité, parce qu'on voulait se débarrasser d'un homme jugé dangereux. Il ne resta d'autre ressource au condamné de 1831 que les secours légaux qu'il était en droit de réclamer de sa commune d'origine à la condition d'aller y résider, et une petite pension qu'il obtint d'une caisse de famille connue sous le nom de « fonds Meuron », et dont le lieutenant-colonel H.-F. de Meuron, l'un des chefs de l'insurrection royaliste du 3 septembre 1856, était l'administrateur.