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« Dans l'espoir que vous pratiquerez activement les principes de notre Association, recevez, cher citoyen Heng, de même que tous les amis, mes salutations fraternelles ».

C'est à ce moment que se placent deux faits qui eurent des conséquences fâcheuses pour l'Internationale à Genève : la retraite de Brosset, qui sortit du Comité fédéral romand, et la mort de Serno Soloviévitch.

Brosset était écœuré par d'incessantes et mesquines attaques : il donna sa démission en août. Ce fut Guétat qui le remplaça à la présidence du Comité fédéral. Pour compléter le Comité, Heng, nouveau-venu à Genève, mais qui avait été président de la Section de la Chaux-de-Fonds, fut désigné, et ce choix fut ratifié par les Sections.

Serno Soloviévitch souffrait depuis longtemps d'une maladie noire, et était hanté par l'idée du suicide. Perron, revenu de Savoie, était allé passer avec lui quelques jours à Saint-Cergues, au-dessus de Nyon : on espérait que le repos et l'air de la montagne agiraient favorablement sur l'esprit du pauvre malade. Il n'en fut rien. Entré ensuite dans une maison de santé, Serno s'évada, et quelques jours après on le retrouvait mort dans son appartement de Genève : après avoir allumé un réchaud de charbon, il s'était couvert le visage d'un masque imbibé de chloroforme, et s'était coupé la gorge (17 août).

Le Mémoire de la Fédération jurassienne a présenté, en l'empruntant au manuscrit de Bakounine intitulé Rapport sur l'Alliance (rédigé en juillet et août 1871), le tableau détaillé des luttes qui eurent lieu à Genève au sein de l'Internationale, pendant l'année 1869. Je le compléterai en donnant ici — comme il a été annoncé p. 98, note 2 — un passage resté inédit de ce même manuscrit. Bakounine y explique les raisons qui provoquèrent l'hostilité de la « fabrique » et des meneurs des comités à l'égard de la Section de l'Alliance :


Voici la première cause de cette hostilité. Les membres les plus influents, les meneurs des Sections de la fabrique, considérèrent d'abord notre propagande, les uns, avec indifférence, les autres même avec un certain degré de bienveillance, tant qu'ils crurent que l'Alliance ne devait être qu'une sorte d'académie où allaient se débattre platoniquement de pures questions théoriques. Mais lorsqu'ils s'aperçurent que le groupe de l'Alliance, peu soucieux de faire de la théorie en pure perte, s'était donné pour but principal l'étude des principes et de l'organisation de l'Internationale, et surtout lorsqu'ils virent que l'Alliance exerçait une attraction toute particulière sur les ouvriers du bâtiment, et tendait à leur donner l'idée d'une organisation collective qu'ils n'avaient point eue jusque-là, et qui aurait eu pour conséquence de les rendre plus clairvoyants et plus indépendants, d'abord vis-à-vis de leurs comités qui se fourvoyaient de plus en plus dans une voie excessivement autoritaire, et en second lieu vis-à-vis des meneurs de la fabrique, qui s'efforçaient ostensiblement d'étendre leur domination sur les Sections des ouvriers du bâtiment au moyen de leurs comités, — alors ils commencèrent à suspecter et à voir de mauvais œil l'action si légitime du groupe de l'Alliance.

Toute cette action de l'Alliance se réduisait à ceci : elle donnait à la grande masse des ouvriers du bâtiment le moyen de définir leurs instincts, de les traduire en pensée et d'exprimer cette pensée. Au sein du Cercle et des assemblées générales, cela était devenu impossible, grâce à la prédominance organisée des ouvriers de la fabrique. Le Cercle était devenu peu à peu une institution exclusivement genevoise, gouvernée et administrée par les Genevois seuls, et