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grands bouquets de fougère et de gentiane ; tous les chapeaux étaient enguirlandés de fleurs et de verdure ; et la troupe chantait à gorge déployée. Devant le Collège on nous a licenciés, et il a fallu encore, nous autres professeurs, aller souper chez M. Hornecker, notre maître de musique ; nous y sommes restés jusqu'à minuit, à faire de beaux projets pour l'an prochain. (Lettre du dimanche 11 juillet 1869.)


Nous avons fait hier battre le tambour pour annoncer une assemblée populaire au Cercle international. Il y est venu passablement de monde. Il s'agissait d'une souscription en faveur des ouvrières ovalistes de Lyon, qui sont en grève au nombre de huit mille[1], et qui, sans abri, couchent à la belle étoile, ou, qui pis est, chez le premier venu. Nous avons reçu d'un ami de Lyon des sollicitations pressantes à cet égard ; il nous donne des détails navrants.

Pendant l'après-midi, nous sommes allés, Spichiger, Benguerel et moi, chez le vieux pasteur Gallot, le plus honnête de nos trois ministres, lui demander de nous aider à organiser une souscription, et de signer un appel au public avec nous. Il a refusé ; ces ouvrières ont eu tort de se mettre en grève, a-t-il dit, elles n'ont que ce qu'elles ont voulu. Nous avons discuté deux heures, inutilement; nous espérions que notre démarche, par sa loyauté, le toucherait ; mais ces gens-là sont tellement aveuglés, que l'humanité même est éteinte en eux quand ils ont affaire à des socialistes.

Malgré le refus de Gallot, la Feuille d'avis d'aujourd'hui a inséré gratuitement un appel. En outre, on a recueilli dans l'assemblée d'hier près de cent francs[2] ; et j'espère que la population du Locle montrera plus de charité que ses ministres. (Lettre du mardi 13 juillet 1869.)


J'étais en vacances depuis deux jours, lorsque le hasard me mit en présence d'une amie de Bakounine, la princesse Obolensky, à laquelle la police suisse venait d'enlever ses enfants. Je copie dans une de mes lettres le récit de cette rencontre :


Il est écrit que je ne pourrai pas trouver la solitude et le repos, et que les aventures me poursuivront jusque dans mon désert. Ce matin, je voulais simplement aller errer par les rues de Berne, et lire quelques journaux. Près de la poste, je me trouve face à face avec Mroczkowski, le Polonais de Vevey. Grand étonnement ! Je lui demande ce qu'il fait à Berne, et il me conte alors une histoire inouïe. Le général Obolensky, mari de la princesse russe dont je t'ai parlé, est venu en Suisse, et s'est adressé au Conseil d'État vaudois — toujours ce même aimable Conseil d'État — afin d'obtenir que la police lui prêtât main-forte pour enlever ses enfants, que la princesse a gardés avec elle depuis sept ans qu'elle vit séparée de son mari.

  1. La grève des ovalistes de Lyon fit beaucoup de bruit pendant l'été de 1869. Elles se constituèrent en Section de l'Internationale, et Bakounine fut leur délégué au Congrès de Bâle. L’Égalité du 31 juillet annonça le triomphe des grévistes, dont les revendications furent acceptées par tous les patrons.
  2. Le Progrès du 7 août publia une lettre de Palix, de Lyon, du 18 juillet, accusant réception d'une somme de cent vingt francs : « cette somme avait été produite en partie par une collecte faite dans une assemblée extraordinaire des trois Sections, et le reste fourni par la caisse commune de résistance ». L'appel inséré dans la Feuille d'avis produisit-il quelque chose, et un nouvel envoi put-il être fait à Lyon ? je l'ai oublié.