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était développée cette idée, que la moralité n’est pas attachée à l’effort, et que les notions de mérite et de démérite doivent être éliminées de la morale. La suite de mon « Examen du christianisme » terminait le numéro.

À peine le no 10 du Progrès avait-il paru, que l’attitude du gouvernement vaudois dans une grève des tailleurs de pierre et maçons de Lausanne venait attester la vérité de ce que nous affirmions au sujet de l’emploi des milices contre les travailleurs : un bataillon d’infanterie avait été appelé contre les grévistes (26 mai). En même temps, j’apprenais la mort douloureuse de Jeanne Brismée (24 mai), la jeune femme de Hins, fille de Désiré Brismée, l’imprimeur de l’Internationale. En France, Paris et Lyon, aux élections des 23 et 24 mai, venaient de donner dans plusieurs circonscriptions la majorité aux candidats « irréconciliables ». Sous le coup de toutes ces nouvelles, j’écrivais la lettre qui suit :


Il m’est impossible ce soir d’être calme : je suffoque d’indignation, et je suis dans une fièvre d’anxiété. Coup sur coup nous arrivent, de Bruxelles, de Paris, de Lausanne, des nouvelles qui me mettent hors de moi.

À Bruxelles, on a lâchement assassiné une pauvre jeune femme, la belle-sœur de mon ami De Paepe ; les journaux belges donnent les détails de cette infamie. Je me possède à peine en t’écrivant. Je voudrais que l’heure fût venue de prendre un fusil et d’écraser enfin ces brigands.

À Lausanne, sept cents ouvriers du bâtiment sont en grève. Ils restent parfaitement calmes. L’Europe les soutient. Et le gouvernement vaudois fait ce que ni Bâle ni Genève n’avaient osé faire : il appelle des troupes, il provoque à la guerre civile. Et c’est votre ami, M. Estoppey[1], qui a signé l’odieuse proclamation que je viens de recevoir. Il va être flétri devant le monde entier. Heureusement que les ouvriers sont plus sages que leurs maîtres : de toutes parts nous leur écrivons de rester calmes, et ils le seront.

Enfin, à Paris et à Lyon, le socialisme a triomphé au scrutin ; la république bourgeoise est battue : Raspail, Bancel, Gambetta sont nommés[2]. Voilà qui pourrait changer la face de l’Europe. Oh ! pourvu que nos amis soient prudents !

… Mais quoiqu’il puisse te paraître que j’ai la fièvre en ce moment, je sais me posséder assez pour calmer les autres. Il faut faire le Progrès, aviser aux affaires de Lausanne et du meeting[3]. Je viens d’écrire un article au sujet de Jeanne Brismée, la femme de Hins[4]. Je suis sans nouvelles de Genève[5]. (Lettre du mercredi 26 mai 1869.)


Le numéro 11 du Progrès (29 mai) parlait, à la première page, de la grève de Lausanne. Il disait :


Ce que le gouvernement n’avait osé faire ni à Bâle, ni à Genève, on l’a fait à Lausanne : un bataillon d’infanterie a été appelé immédiatement.

  1. Membre du Conseil d’État du canton de Vaud.
  2. Bancel et Gambetta n’étaient pas socialistes, mais la plupart de leurs électeurs l’étaient.
  3. Le meeting qui se préparait pour le 30 mai au Crêt-du-Locle.
  4. Voir cet article p. 160.
  5. Il y avait eu des troubles à Genève l’avant-veille, à l’occasion de la grève des typographes.