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le pouvoir. Aussi, d'un parti à l'autre, les hommes se haïssent ; mais à très peu près ils veulent les mêmes choses. On se calomnie, on s'emprisonne, on s'égorge, entre hommes politiques : mais que ce soit Louis-Philippe, Cavaignac ou Bonaparte, Fazy ou Escher, qui tienne le gouvernail, le pauvre peuple n'en souffre pas moins des mêmes abus, que les gouvernants se gardent bien de détruire, parce que ce sont ces abus qui les font vivre.

Nous sommes bien certains que si, au lieu d'attaquer des choses, nous avions attaqué des hommes ; si au lieu d'attaquer la religion, nous avions attaqué tel ou tel membre du clergé ; si au lieu d'attaquer la bourgeoisie, nous avions attaqué tel ou tel bourgeois, — nous n'aurions pas soulevé de si furieuses colères.

Comme la plupart des hommes, dans notre triste société, détestent cordialement leurs voisins, nous aurions trouvé, pour chacune de nos attaques individuelles, un groupe d'approbateurs.

Mais nous aimons les hommes, et nous ne haïssons que l'injustice. C'est pourquoi notre polémique ne ressemble en rien à celle des journaux politiques ; et il faut nous résigner à nous passer des sympathies de nos confrères de cette catégorie.

On avait pardonné au premier Napoléon d'avoir fait tuer deux millions d'hommes, et si bien pardonné, qu'il y a quarante ans certains libéraux avaient cru pouvoir faire de lui le drapeau de la cause populaire.

Mais si Napoléon, en 1814, pour défendre la France de l'invasion étrangère, eût brûlé un quartier de Paris, ni Béranger, ni Victor Hugo n'auraient osé le chanter, et son nom eût été voué à l'exécration un demi-siècle plus tôt.

Tant il est vrai que la destruction des choses, fût-ce de simples maisons, paraît à certains esprits bien plus criminelle que celle des hommes.

Ce préjugé ne nous arrêtera pas, et, le cœur brûlant de l'amour des hommes, nous continuerons à frapper impitoyablement sur les choses mauvaises.

Socialistes, soyez doux et violents.

Soyez doux pour vos frères, c'est-à-dire pour tous les êtres humains. Tenez compte au faible, au superstitieux, au méchant, des causes indépendantes de sa volonté qui ont formé sa personnalité. Rappelez-vous que ce n'est pas en tuant les individus qu'on détruit les choses, mais en tuant les choses qu'on transforme et régénère les individus.

Mais soyez violents pour les choses. Là, il faut se montrer impitoyable. Pas de lâche transaction avec l'injustice ; pas d'indulgence pour l'erreur, qui vous conjure de ne pas aveugler de votre flambeau resplendissant ses yeux de chauve-souris. Faites une Saint-Barthélémy de mensonges, passez au fil de l'épée tous les privilèges ; soyez les anges exterminateurs de toutes les idées fausses, de toutes les choses nuisibles.