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Les huit mois de discussions des réunions publiques ont fait découvrir ce fait étrange, que la majorité des ouvriers activement réformateurs est communiste.

Ce mot de communisme soulève autant de haine dans le camp des conservateurs de toute sorte que la veille des journées de juin. Bonapartistes, orléanistes, cléricaux et libéraux s'entendent avec un touchant ensemble pour crier sus à l'infâme, au pelé, au galeux. Plus les ouvriers militants de Paris s'obstinent à se proclamer communistes, plus les conservateurs susnommés s'acharnent à les combattre ; chacun joue admirablement son rôle : les cléricaux, les orléanistes et les libéraux fulminent dans leurs chaires, dans leurs journaux, et le gouvernement tâche de mériter les éloges des plus fougueux partisans de la répression à outrance. La grande majorité des orateurs des réunions publiques (l'on peut dire presque tous ceux qui proclament le communisme) sont emprisonnés, condamnés ou assignés ; les condamnations se tiennent, le plus souvent, entre deux et six mois de prison, entre cent et deux mille francs d'amende. Ces jours derniers, on a trouvé que l'infatigable sixième Chambre n'était pas encore assez expéditive, et l'on a essayé de l'arrestation préventive : en conséquence, ont été arrêtés Budaille, Bachellery, Amouroux, Garrau, Gustave Flourens et Peyrouton.


La bonne harmonie, qui avait été troublée au printemps de 1868 par la lutte électorale, s'était rétablie entre les Sections de la Chaux-de-Fonds et du Locle. Coullery avait à peu près abandonné la scène, et avait donné sa démission de président de la Section de la Chaux de-Fonds : il avait été remplacé dans ses fonctions par le graveur Fritz Heng, qui était des nôtres. Un échange fréquent de délégations créa des liens d'amitié entre les internationaux des deux villes sœurs des montagnes neuchâteloises ; et les comités des deux Sections décidèrent qu'afin de resserrer davantage ces liens, ils se réuniraient tous les quinze jours pour délibérer en commun, alternativement au Locle et à la Chaux-de-Fonds. « Ce fut dans une de ces réunions que M. Ulysse Dubois, épicier et officier d'artillerie, membre du comité de la Chaux de-Fonds et coulleryste fanatique, proposa la création d'une société secrète. Cette proposition, faite de la sorte, parut si étrange, que les assistants ne savaient s'il fallait la regarder comme venant d'un agent provocateur ou seulement d'un cerveau dérangé ; après une courte discussion, elle fut repoussée à l'unanimité. C'est ce même M. Dubois qui, un an plus tard, en qualité de président du Cercle ouvrier de la Chaux-de-Fonds, expulsa le Congrès romand du lieu de ses séances en criant : À la porte les collectivistes ![1]» Les Loclois avaient déjà leur groupement intime particulier ; à la Chaux-de-Fonds aussi, quelques camarades anti-coullerystes, entre autres Fritz Heng, avaient constitué un groupe du même genre. Si donc la proposition de M. Ulysse Dubois fut repoussée, ce n'était pas que les socialistes les plus avancés des Montagnes neuchâteloises méconnussent les avantages d'une organisation solide et discrète : c'est qu'ils voulaient tenir les amis de Coullery à l'écart.

  1. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 36. — Avant l'impression des 80 premières pages du Mémoire, j'en avais communiqué, en juin ou juillet 1872, le manuscrit à Bakounine, en le lui envoyant à Zurich. À la lecture du passage où je disais qu'Ulysse Dubois « proposa la création d'une société secrète », il eut un scrupule, et écrivit au bas du feuillet cette observation : « N'est-ce pas une dénonciation, et est-il absolument nécessaire et permis de la faire ? Je demande, tu décideras. » Mais lorsqu'en continuant à lire, il fut arrivé à la fin de l'alinéa, il écrivit cette seconde observation : « Ah ! maintenant je comprends ». — Cette partie du manuscrit du Mémoire est encore en ma possession.