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graphes de Genève commençaient de leur côté une grève qui fut signalée par des scènes de violence. Pendant plusieurs semaines, ces deux grèves absorbèrent entièrement l'activité des Sections genevoises et du Comité fédéral romand, et remplirent les colonnes de l’Égalité. On se demanda plus d'une fois si l'on n'en viendrait pas à un conflit armé et si les rues de Genève ne seraient pas ensanglantées. Le 1er avril, j'écrivais : « Ce matin, il est arrivé de Genève un télégramme annonçant des troubles, et j'ai dû courir à droite et à gauche toute la journée ; ce soir on m'a encore appelé à la Chaux-de-Fonds par le télégraphe. Enfin, j'espère que tout s'arrangera sans qu'il y ait du sang versé. » Et le lendemain, revenant sur ce sujet : « Je suis donc allé à la Chaux-de-Fonds hier à cinq heures. J'y ai trouvé de Genève des nouvelles rassurantes ; nous avions craint un moment qu'on se battît là-bas. J'ai soupé chez un ouvrier qui est marié depuis trois mois, et j'ai trouvé leur ménage charmant : madame travaille aussi à l'établi, et fait la cuisine, et, quoique novice, elle s'en tire joliment bien, ma foi. Combien j'enviais le bonheur de ces jeunes gens ! pendant qu'on soupait, et qu'un autre convive, l'excellent Fritz Heng (un ouvrier graveur, président de la Section internationale de la Chaux-de-Fonds), disait des folies à la maîtresse du logis, je pensais à notre bonheur futur. »

Le Cercle de l'Internationale, à Genève, qui se trouvait à la brasserie des Quatre-Saisons, fut transféré, le dimanche 28 mars, au Temple-Unique (l'ancien Temple maçonnique), boulevard de Plainpalais. L'Internationale disposait là d'un local spacieux, qui devait, pensait-on, contribuer à favoriser le développement de sa propagande ; en réalité, c'est quelques mois après le transfert de son siège au Temple-Unique que l'Internationale genevoise commencera à décliner, en s'écartant de la voie qu'elle avait suivie pendant ce qu'on peut appeler sa période héroïque.


En France, les idées socialistes pénétraient de plus en plus les masses ouvrières ; et, bien que l'organisation du bureau parisien eût été officiellement supprimée en 1868, l'Internationale n'en faisait pas moins des progrès considérables, dont nous entretenaient chaque semaine les correspondances publiées par l’Égalité. Une de ces lettres de Paris, écrite par Combault à la date du 16 mars (numéro 9 de l’Égalité, 20 mars), s'exprimait ainsi à ce sujet :


L'Association internationale des travailleurs n'a jamais si bien fonctionné en France que depuis qu'elle a été dissoute, disait dernièrement un orateur dans une réunion publique, et cette affirmation n'était que l'exacte vérité. En effet, pendant les trois années que nous avons employées à fonder notre association et à en propager les principes, nous n'avions jamais pu réussir à grouper qu'un nombre très restreint d'adhérents ; notre action matérielle et morale était toujours restée très limitée. Aujourd'hui que nous n'avons plus d'organisation, plus d'existence régulière, il a suffi qu'un membre de l'Internationale reçût un appel de la Section de Bâle, pour qu'immédiatement, dans les réunions publiques, il fût fait des collectes, et que toutes les corporations aient organisé des souscriptions… La dissolution du bureau de Paris peut donc être considérée comme un heureux malheur, puisqu'elle a eu pour résultat, en dispersant un groupe d'adhérents réguliers de quelques centaines de membres, de faire adhérer en principe et en fait, irrégulièrement, c'est vrai, tout ce qui pense et agit parmi la population travailleuse de Paris.


Une autre lettre de Paris, datée du 30 mars (n° 12 de l’Égalité, 3 avril), écrite probablement par Varlin, parlait du progrès que les idées communistes avaient fait dans les masses ouvrières :