Dans un premier discours, Bakounine a traité la question religieuse. Il a fait voir, par quelques raisonnements très simples, que la supposition d'un Dieu créateur du monde est absolument contraire au bon sens ; il a montré à quelle série d'absurdités aboutissent les théologiens, qui, voulant à toute force attribuer l'existence du monde à la volonté d'un être quelconque, se font un Dieu imparfait, impuissant, inconséquent et malfaisant, qu'ils appellent, on ne sait trop pourquoi, le bon Dieu. Bakounine a conclu que le monde existe par lui-même de toute éternité, sans l'intervention d'aucun créateur. Des applaudissements répétés ont accueilli l'orateur à chacune de ses démonstrations.
Dans un second discours, le compagnon Bakounine a fait l'histoire de la bourgeoisie, de son développement, de sa grandeur et de sa décadence. Après avoir rendu hommage aux grandes choses accomplies à la fin du siècle passé par cette classe, il a expliqué comment elle avait dû forcément s'arrêter dans sa marche, une fois son triomphe assuré, et, par le désir de garder ses conquêtes, devenir un obstacle au progrès. Le prolétariat se trouve aujourd'hui dans la position qu'occupait la bourgeoisie avant 1789 ; la bourgeoisie, de son côté, est devenue une classe dominante et exploiteuse, comme l'était l'ancienne noblesse ; les préjugés ont obscurci son intelligence et sa raison.
C'est dans le prolétariat que résident maintenant les forces vives de l'humanité, et il aura à renverser la domination bourgeoise et à accomplir une révolution analogue au grand mouvement qui au XVIIIe siècle, a anéanti la féodalité.
Et comment était composé l'auditoire qui a applaudi ces choses-là ?
C'étaient des ouvriers et leurs femmes, membres de l'Internationale. Ce que les athées de nos Académies et de nos Universités ne disent qu'avec précaution et à mots couverts à des étudiants qui représentent l'élite de la bourgeoisie, — la conception scientifique de la nature, — on a pu le dire sans réticence, en termes clairs et positifs, à ces travailleurs dont le jugement droit et sain embrasse plus facilement la vérité que ne peuvent le faire des intelligences faussées par une érudition routinière ; et ce que la bourgeoisie est incapable de comprendre, la grande loi du développement historique de l'humanité et le rôle que cette loi assigne aujourd'hui au prolétariat, a été compris chez nous, même par les femmes, qui, au début du mouvement social actuel, avaient d'abord paru rester indifférentes.
Un petit nombre de bourgeois hostiles, qui se trouvaient là, ont aussi entendu Bakounine, et nous en sommes bien aises, car il leur a dit de rudes et bonnes vérités, — dont ils ne profiteront d'ailleurs pas plus que les marquis et les abbés de l'ancien régime n'ont profité des avertissements et des leçons des encyclopédistes.
La manière dont la classe ouvrière accepte et s'approprie les principes philosophiques les plus larges et les plus profonds est pour nous un gage certain du triomphe prochain de sa cause : car la force est là où est la science et la pensée. La bourgeoisie, uniquement préoccupée de ses intérêts matériels, est déchue du rang glorieux qu'elle occupait il y a cent ans dans le monde ; elle a laissé tomber cette