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sation secrète qui la préserverait du danger que pouvaient lui faire courir les intrigants et les ambitieux.

J'ai parlé plus haut (p. 120) de la dissolution de la Fraternité internationale, et de la circulaire, sans date (publiée par Nettlau, p. 277), qui notifia cette décision à tous les intéressés, et en indiqua les motifs. Voici ce document, qui est certainement sorti de la plume de Bakounine, comme le démontrent certaines tournures de style à lui personnelles :


Citoyens, quelques membres anciens de la Fraternité internationale ont, d'accord avec le Bureau central[1], déclaré dissoute cette institution. Cette résolution mûrement réfléchie a eu pour cause l'inutilité avérée d'une institution formée d'hommes dont la plupart se croient si peu engagés, qu'ils se sont crus en droit d'agir en opposition aux devoirs imposés à chaque frère par les principes et les statuts de la Fraternité, ce qui constitue vis-à-vis des frères fidèles une injustice flagrante et les place dans une position insoutenable... Quelques-uns des nôtres sont allés en Espagne[2], et, au lieu de s'attacher à grouper les éléments socialistes qui, nous en avons la preuve matérielle, sont déjà assez nombreux et même assez développés dans les villes comme dans les campagnes de ce pays, ils y ont fait beaucoup de radicalisme et un peu de socialisme bourgeois... Ces frères, oublieux du but qu'ils poursuivaient ou qu'ils étaient censés poursuivre, ont embrassé la cause de ce pauvre républicanisme bourgeois qui s'agite avec tant d'impuissance et de bruit en Espagne, ils l'ont défendu dans les journaux tant espagnols que français, et ont poussé le dédain de tous nos principes jusqu'à prêter les mains à des tentatives de rapprochement avec Espartero et avec Prim lui-même au besoin.... Ces faits seuls suffiraient pour démontrer le peu de sérieux de notre organisation fraternelle, quand bien même ils n'eussent pas été suivis d'un autre fait qui ne nous a plus permis d'hésiter sur la convenance de notre dissolution : le secret de nos affaires a été livré à des étrangers[3], nous sommes devenus l'objet de cancans, et notre action qui, pour avoir de la force, devrait s'exercer secrètement, est devenue par là non seulement inutile, mais ridicule... C'est principalement pour ces motifs que notre Fraternité a dû être dissoute...


Le document ci-dessus n'ayant pu être rédigé qu'après le retour d'Espagne de Fanelli, je pense qu'il est postérieur à la visite de Bakounine au Locle. En ce qui me concerne, je n'avais jamais, avant la lecture de ce document dans l'ouvrage de Nettlau, entendu parler de cette crise de la Fraternité internationale à la suite de laquelle elle fut déclarée dissoute. Cette dissolution eut pour résultat, comme l'explique Nettlau, la cessation des relations intimes entre le groupe des plus anciens frères internationaux (Bakounine, Fanelli et leurs amis, les « frères fidèles ») et quelques dissidents, dont les deux frères Reclus, Malon, Mroczkowski, Joukovsky. Mais ceux-là mêmes qui avaient déclaré l'ancienne Fraternité

  1. Dans un autre document (lettre de Bakounine du 26 janvier 1869 ; voir ci-dessus p. 120, ce « Bureau central » est appelé « Directoire central ».
  2. Il s'agit d'Élie Reclus et d'Aristide Rey, qui étaient allés en Espagne en même temps que Fanelli, et qui avaient contrecarré sa propagande.
  3. Ceci se rapporte, je crois, à une indiscrétion commise par Malon, qui, en passant par Lyon en janvier on en février 1869), avait raconté à Albert Richard (un des membres fondateurs de l'Alliance de la démocratie socialiste, créée à Berne en septembre 1868, mais étranger à la Fraternité internationale) ce qui venait de se passer dans la réunion de Genève (lettre de Bakounine à Perron du 15 mai 1870, citée par Nettlau p. 276, où cette indiscrétion de Malon est qualifiée de « trahison »).