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les réponses du catéchisme d'Ostervald relatives aux jugements téméraires, à la colère, à la médisance, et à la calomnie ; il montrait comment MM. les ministres, oublieux des préceptes du petit livre, avaient par quatre fois péché, et terminait en disant : « Jugeons les gens sur leurs actes, défions-nous des hommes de grande foi et de petites œuvres ».

Le succès de la conférence du 16 janvier nous fit désirer de continuer à employer ce mode de propagande. J'eus l'idée de demander à Bakounine s'il consentirait à venir au Locle, lui aussi, pour traiter quelque sujet philosophique ou social devant l'auditoire qui était venu entendre Kopp. Avec l'assentiment de mes amis, je lui écrivis. Il ne me répondit que le samedi 27 ; et dans l'intervalle, nous décidâmes de prier F. Buisson de venir répéter au Locle une nouvelle conférence qu'il avait faite à Neuchâtel — dans un des temples, cette fois — sous ce titre : Profession de foi du protestantisme libéral.


Il existait, parmi les ouvriers de l'industrie horlogère aux Montagnes, un certain nombre d'organisations corporatives ou sociétés de métier : les unes étaient de simples caisses de secours mutuels ; d'autres étaient ce qu'on appelait des « sociétés de résistance », c'est-à-dire des associations qui avaient pour but la défense du salaire et la résistance aux empiétements des patrons. Les professions qui avaient des sociétés de résistance étaient en particulier les graveurs, les guillocheurs, et les monteurs de boîtes. Les plus intelligents et les plus énergiques parmi les ouvriers appartenant à ces organisations étaient devenus membres de l'Internationale ; mais nous espérions obtenir davantage : notre idéal, c'était l'adhésion à l'Internationale des corps de métier comme tels, et la constitution de ces corps de métier, groupés autour de la Section « centrale », en une fédération locale ; la Section centrale deviendrait une sorte d'assemblée générale, de « commune », dans laquelle seraient étudiées les questions de principes, et traitées les affaires qui présenteraient un intérêt collectif, distinct de l'intérêt spécial d'une corporation particulière.

Entre les sociétés de métier existant au Locle, celle qui contenait le plus d'éléments sympathiques à l'Internationale était l'Association des graveurs. Elle réunissait chaque année ses membres en une assemblée générale suivie d'un banquet, et ce banquet devait avoir lieu le samedi 23 janvier. Les membres du comité des graveurs proposèrent que le banquet eût lieu chez Mme Frey, et que j'y fusse invité en ma double qualité de secrétaire de la Section de l'Internationale et de rédacteur du Progrès ; ces deux propositions furent acceptées par la société : j'assistai donc au banquet des graveurs, et j'en profitai pour faire de mon mieux de la propagande en faveur de nos idées. Mais il ne fallait rien brusquer : nous nous contentâmes, pour le moment, d'avoir posé un premier jalon ; c'est seulement quelques mois plus tard, à l'occasion de la grève qui éclata en juillet, que l'Association des graveurs du Locle devait se décider à faire un pas de plus et à entrer dans l'Internationale, en même temps que celle des guillocheurs.


Le lendemain dimanche 24, j'étais allé à Neuchâtel passer la journée chez mes parents. David Perret vint m'y rejoindre, et, réunis autour du feu, nous échangeâmes nos vues sur la situation. « Mon père et ses amis politiques de Neuchâtel ont fait beaucoup de chemin depuis quelque temps, écrivais-je le lendemain, et se sont bien rapprochés des socialistes. La venue de M. Kopp au Locle est un symptôme de ce rapprochement. » (Lettre du 20 janvier 1869.) D'ailleurs, la question religieuse se trouvait en ce moment au premier plan, et, sur ce terrain, il semblait que nous fussions tous d'accord. On imprimait, dans l'atelier de mon frère, la conférence faite à Neuchâtel par Buisson quelques jours avant, afin qu'elle pût paraître aussitôt qu'il l'aurait répétée à la Chaux-de-Fonds, à Cernier (Val-de-Ruz) et au Locle ; mon père avait des épreuves d'une partie du manuscrit : il nous en